Le Clan du Nant

 

 

Les os, le guet

 

 

Les os

 

Une tornade s’est abattue sur la Vallée, et des arbres sont tombés par dizaines sur le chemin dont la trace est confuse. On ne sait parfois plus bien où passer dans le dédale des nouveaux chablis, mais on entend déjà le timbre clair du Nant… Soudain une grive, une jeune grive draine sur laquelle on a failli marcher, s’envole en criant, sans doute l’un de ses premiers vols, cependant qu’une adulte lance aux intrus une bordée d’injures qu’on comprend parfaitement, même si on maîtrise mal la langue des grives…

 

Voici le Nant.

 

Inchangé, insouciant dans sa tenue d’été, folâtrant dans son cours habituel entre les rochers, les troncs arrachés, au fond de cette combe où la lumière et le temps passent anormalement. Quand bien même on reste sans revenir au Nant, on sent sa présence qui continue de battre en nous, invisible et vitale comme le sang, et on sent en soi sa pulsation qui s’accélère à mesure qu’on approche de l’abri.

 

C. s’exclame : voici l’abri ! On a cette fois amené des outils, pelle, pioche, rateau importés d’une autre tribu, d’une autre époque, et, l’après-midi durant, on aménage enfin le fond de l’abri pour le rendre plus confortable, pour que le Clan se l’approprie pleinement, pour qu’on puisse y bivouaquer. Je construis ici un nid de marsupilami rupestre, rustique et humide mais habitable. J’élargis, j’aplatis.

 

Je n’étais pas encore aller fouiller au fond du trou, à cause de l’odeur forte, du manque de lumière, et aussi parce que je craignais d’y trouver un cadavre. Je ne me trompais pas : à peine avons-nous commencé à gratter la terre que des os apparaissent. Mon malaise s’accroît, non seulement à cause de la mort mais parce que ces os révèlent sans doute les restes d’un ancien repas de chasseur, ce qui m’inquiète parce que je ne voudrais pas voir surgir ici, dans notre abri, des inconnus ; puis je m’avise que celui qui a peut-être fait cuire son repas ici doit être lui-même mort ou vieux depuis longtemps, qu’il n’y a aucune trace d’habitation récente hormi les nôtres, et puis finalement que ces ossements, sur lesquels on ne trouve aucune trace de feu, ne sont pas les restes d’un repas mais ceux d’un petit mammifère qui est venu finir ses jours dans cet abri naturel.

 

J’enlève les os, les pierres tranchantes, puis je m’allonge dans la tanière en compagnie de C.

 

Seul le Nant parle, à voix tonitruante.

 

Il fait frais et humide. On tremble un peu sous les piqûres des moustiques et des taons. Depuis l’ombre on regarde la lumière tourner de feuille en feuille, se cacher entre les troncs, disparaître.

 

Être ici c’est être sur le qui-vive, ce n’est pas rassurant mais vivant, sauvage, préhistorique.

 

On ne bouge pas. On ne se souvient pas. On n’attend pas. On guette.

 

 

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