Vigie, mars 2020

 

 

 

Pour survivre en temps de crise

 

 

Je n’étais pas sorti depuis le grand labour
j’attendais que les cris s’espacent et cessent enfin…

Guidoni, « Tout va bien »

 

Lire et relire La Montagne magique parce que toute demeure est désormais un sanatorium, et La Recherche du temps perdu parce que Proust l’a écrit confiné dans sa chambre de liège et que l’œuvre est assez longue pour tenir toute la vie ; lire et relire les Notes de ma cabane de moine et quelques solides Stoïciens parce que ce sont des doctrines taillées sur mesure pour affronter le pire ; relire tout Nicolas Bouvier, puisqu’on ne peut plus voyager, et tout Philippe Jaccottet pour se rappeler à la fragilité ; lire aussi, en passant, les signes du printemps à la fenêtre : les lilas en bourgeons, les abeilles de sortie et le pinson qui s’est posé sur le chambranle. Pour les enfants, suivant les âges : Les trois mousquetaires en un seul gros volume pour Clément, et Illusions perdues pour Léo.

 

Quand on est fatigué de lire on peut passer aux films : pour la danse, la musique et l’arrogante splendeur des mondes emportés, Le salon de musique de Satyajit Ray, et Les joueurs d’échecs pour se jouer de l’échec. De Tarkovski Le Sacrifice, forcément, et Stalker pour mémoire. Pour les routes coupées et les fins sarcastiques, Cul de sac de Polanski, Mort à Venise pour saluer une dernière fois la beauté au temps du choléra, Amarcord pour se souvenir, et puis, pour la lumière, Kaos, les contes siciliens, des frères Taviani.

 

Si les yeux brûlent un peu on ferme les paupières et l’on écoute « The sound of silence », Léo qui joue « Impasse » à la Cave, « La fin d’un monde », « Tout va bien », la messe en si, le Requiem de Mozart ou plus rien.

 

Ainsi la journée passe.

 

Pour faire passer la nuit, écrire une, deux, trois pages du Livre de Madère, puis, enfin, s’enfoncer sans vergogne dans un rêve d’île en été.

 

 

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