Épilogue :
les agapanthes
Une bonne âme, pour me rappeler Madère et embellir encore mes Combles, m’a fait présent d’un bosquet de cette superbe « fleur de l’amour » qu’est l’agapanthe (d’anthos, la fleur, et agapè, l’amour « inconditionnel », tourné non vers la satisfaction de la personne qui aime mais vers le bonheur de celle qui est aimée, et que l’on traduit souvent, mais assez mal il me semble, par le terme chrétien de « charité »): en l’occurrence, quatre agapanthes bicolores du plus bel effet plantées dans un seau rouge qui s’accorde bien avec le décor bariolé de ma pièce.
J’ai d’abord déposé le pot devant l’autel au bouddha en face de mon bureau (et c’est vrai que cette image, associée aux trilles de la fauvette qui, depuis quelque temps, a choisi comme poste de chant les noisetiers sous ma fenêtre, m’évoque inévitablement le bonheur fleuri de Madère, car une fauvette chantait ainsi tous les matins sous le balcon de la Villa Atlantico…) ; puis je me suis avisé qu’il y avait quelque chose de profondément navrant, comme un appel sans réponse, comme un désir sans espoir, dans ces grandes hampes tendues vers un ciel sans insectes (hormis quelques guêpes qui se repaissent de ma charpente, et quelques moustiques de ma personne, leurs visites ici sont assez rares). Ces ombelles prises dans la lumière filtrée ou artificielle de la maison et soumises à mes seuls caprices m’ont mis de plus en plus mal à l’aise, me rappelant ce sinistre Journal d’une plante carnivore que j’avais écrit en des circonstances moins heureuses et que Léo a voulu mettre en musique pour la vidéo de son Brevet d’études musicales. Je ne supporte pas les bêtes en cage (les lecteurs les plus anciens de cette rubrique se souviendront peut-être de la lapine Carotte, recueillie malgré moi l’hiver 2014, qui au printemps s’arrachait les poils afin de confectionner un nid dans un coin de sa cage pour les lapereaux qu’elle n’aurait pas, et que j’avais finalement laissée vivre et mourir en liberté, l’été suivant, en la laissant creuser son terrier dans le jardin puis divaguer dans le village). Je ne supporte pas non plus les plantes en cage. Je l’ai redescendue sur la terrasse et installée en plein soleil.
Depuis, je la regarde chaque fois que je m’accoude à la fenêtre : la rosée fait briller ses feuilles, la brise bouger ses hampes, et tout un peuple d’abeilles, de bourdons, de phalènes, d’oiseaux-mouches, agite ses pistils et ses étamines… Le ciel en soit loué : ma fleur est de nouveau vivante !
© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.