Vigie, juin 2020

 

 

 

Les failles

 

 

Vigiejuin202003

 

 

Quand les lumières brûlent tout
Je ne veux pas sortir
Je ne veux pas me découvrir
Des failles, des failles

Pomme, Les failles

 

 

Il faut un creux, une faille, un petit repli mental au moins pour véritablement accueillir en soi toutes ces images du monde extérieur que captent nos yeux mais qui ne pénètrent qu’insidieusement ou confusément le cœur. La mémoire ouvre de telles failles dans lesquelles vient se déposer, comme les graines ou les spores emportées par le vent, la conscience du temps, autant dire la conscience d’être en vie, d’être humain.

 

Ce n’est pas pour leur valeur intrinsèque que les souvenirs me sont précieux, ce n’est pas même, oserais-je le dire, pour seulement rendre hommage à ma mère que je cultive les souvenirs de Madère par exemple, mais parce que creuser le présent permet de l’ensemencer – le jardinier ne plante pas ses graines sans avoir au moins griffé un peu le terrain… Ainsi cette inscription dans le temps, dont il importe peu qu’elle soit consentie ou refusée, me rend-elle tel bosquet d’hortensias ou d’agapanthes bleus infiniment précieux, car si je le regarde, ce n’est pas en botaniste ni en jardinier (encore que j’aimerais avoir aussi leur regard) mais en ami.

 

On ne le dira jamais assez (aussi le dis-je encore sans craindre de radoter) mais ce sont les failles, les irrégularités du terrain, les brusques trouées dans la voute forestière, qui accrochent vraiment bien la lumière. Ce n’est pas un monde de larmes que m’offre la mémoire mais un monde de lumière – et les larmes d’ailleurs, comme la pluie, brillent.

 

 

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