Vigie, juin 2020

 

 

 

Le guet, la lumière, le chat

 

 

 Vigiejuin202004

  

 

Plus que jamais ce havre de sous les combles est le meilleur des postes d’observation. La nouvelle disposition du lit a dégagé davantage l’espace et me pousse un peu plus à regarder dehors, à regarder dedans, à faire ce va-et-vient grâce auquel la vie et l’écriture respirent (toutes mes tentatives d’écrire seulement à partir de l’intimité se sont soldées par des échecs).

Un moineau se pose sur la cime de mon poirier et je m’empare aussitôt des jumelles pour voir s’il s’agit d’un domestique (calotte grise) ou d’un friquet (calotte marron) mais, ce faisant, je constate aussi que la lumière a changé, que l’immense nuage blanc qui s’élève au-dessus de la Chartreuse a pris la forme d’un voilier (disloqué avant que s’achève ma phrase), puis que les gouttes qui voilaient encore tout à l’heure la vue du ciel se sont presque entièrement évaporées mais que les dernières dessinent sur la frisette des ombres que l’on dirait végétales – et l’on est tenté de chercher quelles drôles de mousses se sont mises à pousser en plein ciel –, et aussi que les petites poires acides ont commencé à grossir (ce que les oiseaux ont remarqué bien avant moi, naturellement).

Bientôt la lumière m’attire à la fenêtre du jardin, et je reste à contempler ce versant forestier de Belledonne dont l’apparence n’est pas moins mouvante que celle d’une plage, parce que nuages et soleil font glisser et refluer sur les arbres une marée de lumière. En contrebas, dans le jardin, le grand trampoline que l’on a installé sur un replat du terrain en élaguant quelques branches m’évoque l’arène qu’aménage le coq de roche pour ses parades amoureuses (et je crois un instant revoir les jeux d’ombres et de lumière sur son plumage orange vif…). Voici cependant, du côté du potager, une drôle d’énigme : certaines salades ont bien grossi, mais deux sont restées rachitiques et l’une a carrément disparu. Pourquoi ? Je ne vois (aux jumelles) pas de limaces, pas de traces de bêtes – une enquête sur le terrain s’impose…

Le chat, cependant, profite à sa façon de la lumière. Après avoir dormi sur le nouveau lit, puis sur le fauteuil, puis sur le petit lit, il a choisi pour continuer sa sieste perpétuelle le plus moelleux des zabutons, juste en dessous de la fenêtre de toit. Lui aussi est attentif, à sa façon : lorsqu’un moineau ou un chardonneret se pose sur l’antenne ou les tôles il relève la tête ; lorsque je sifflote « Tête en l’air », il bouge les oreilles ; et lorsque je lui parle il n’ouvre pas les yeux mais étire sa patte, écarte ses griffes en signe de grand contentement, puis se renfonce dans un sommeil que j’imagine peuplé de nuages et d’oiseaux…

 

 

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