Vigie, mars 2023

 

Champagne pour entre deux gares

 

 

 

Soleil et débâcle. C’est la première vraie promenade printanière de l’année, je veux dire que c’est la première fois que j’emprunte à nouveau l’itinéraire des morilles (sur lequel je préfère ne pas donner trop de détails). D’abord, je passe prendre Élodie chez elle, et nous en profitons pour faire le point sur les travaux et pour admirer surtout l’ouverture façonnée avec soin par les maçons, qui transfigure déjà le futur atelier. Puis nous partons à grands pas sur le sentier absolument trempé.

Il fait un temps à salamandres et à morilles, doux et humide, et je scrute le sol avec une attention renouvelée. Fleurettes bleues, fleurettes mauves, petites pousses vert tendre, cri roulé des grives draines. Le vacarme du Gelon est tellement assourdissant qu’Élodie décide de s’éloigner par le haut pendant que je poursuis le long du cours d’eau. Arrivé au petit pont après la ruine, je ne la retrouve pas. J’appelle. Personne. Ici, j’ai déjà perdu Rimski, mais jamais Élodie. J’envisage d’envoyer un message aux voisins, comme ils l’ont fait pour ce pauvre chien égaré paraît-il quelque part entre Le Verneil et La Table : Perdue, compagne aux cheveux bouclés, visage de fouine, foulée de biche, possiblement affolée par les présences humaines mais très gentille, ne mord pas, merci de signaler si vous l’avez vue, récompense. Elle, entre temps, ne connaissant pas bien cet itinéraire, a fait demi-tour et marche quelque part en direction du Villard… On se retrouve peu après, et, le temps de laisser barboter Rimski dans le torrent, on remonte à la boîte aux lettres où m’attend le paquet qui contient le nouveau livre.

La parution d’un nouveau livre, et surtout ce moment où je le tiens en main pour la première fois, marque le point d’aboutissement d’un long processus. C’est une fin, une séparation entre le texte et son auteur, autant dire un moment grave qui ne va pas sans tristesse. Cette fois, cependant, l’objet me semble si soigné, avec sa couverture bleu pâle et violet, son rabat pratique et élégant, son impression parfaite, que j’éprouve avant tout de la joie. Je passe le reste de l’après-midi à le regarder, à en relire des bribes, à me mettre en scène avec lui, à ses couleurs, pour une photo publicitaire.

Le soir venu, pour la première fois depuis notre installation au Villard, on fête l’arrivée du nouveau-né au champagne (un très bon champagne offert par Élodie à Noël). C’est un moment léger et pétillant. On écoute en boucle « Champagne » d’Higelin, et puis l’instrumental « entre deux gares ».

15/03/23

 

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