Vigie, mars 2023

 

Un chien à la dérive

 

 

Temps tiède et lumineux, une corneille marche le long de la mare en quête de grenouilles mortes ou mourantes. Cet épouvantail qui bouge sur le coteau, c’est en fait un couple de bipèdes qui semble danser, ou s’enlacer, ou faire voler dans les airs un cerf-volant que je ne vois pas. Lui se tient derrière elle, comme pour guider ses gestes ; elle semble montrer le ciel. Ils sont trop loin et la scène reste mystérieuse.

Je reviens au proche et photographie un bouquet de coucous parvenus à l’acmé de leur floraison. Première tonte à La Martinette, où l’odeur de l’herbe coupée nous amène en avril. Le héron gris, fidèle au poste, s’envole quand on passe le pont et va se percher sur un arbre mort d’où il reprend son guet.

Cette fois, ça y est, les sous-bois sentent l’ail des ours à plein nez ! Les petites anémones blanches tapissent la mousse au bord du sentier. Odeurs des orties plus loin, d’une touchante familiarité. Je reprends le chemin des morilles, méconnaissable sous le tapis vert de l’ail des ours. Longue errance dans l’enchevêtrement des ronces renaissantes et des arbustes, quête sans objet dont je ressors avec un goût de sel sur la langue (et sans morilles). Le souffle frais qui sèche mon front est un bienfait que j’accueille en soupirant d’aise.

Un cincle soudain s’envole au passage de Rimski, qui s’aventure dans le torrent – et voici mon beau chien qui bascule et part à la dérive, emporté, ballotté, heureusement retenu par la longe au bout de laquelle il se débat mollement comme un poisson ferré. Il n’aboie pas, il ne se plaint pas, remonte tant bien que mal sur la berge, s’ébroue furieusement et repart en courant sur le sentier. La prochaine fois qu’il verra un cincle, je pense qu’il ne cherchera plus à l’attraper. Il est difficile toutefois de vraiment comprendre ce qui se passe dans la tête de mon samoyède, car vingt mètres plus loin le revoici à l’eau, traversant le courant ; peut-être a-t-il en fait apprécié ce jeu du toboggan, auquel cas les balades d’avril seront acrobatiques… Et, à propos d’acrobaties, le voici cette fois obsédé par les plumes d’un oiseau déposées sur un tronc en travers du torrent. Il tente d’y accéder par le haut, retombe dans l’eau, attaque par le bas, finit par mettre son museau au milieu des plumes dont il se détourne une fois sa curiosité satisfaite. 

29/03/23

 

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