Vigie, mars 2023

 

Retour au nant

 

 

Les bras nus, avec le vent doux qui se glisse dans l’échancrure du polo, l’esprit en paix, le corps encore en assez bon état, je remonte la pente du grand champ. Les grives s’envolent sur mon passage. La rumeur des abeilles occupées à butiner les chatons vert jaune du saule marsault couvre le vacarme du Nant. Deux aigles tournent dans le ciel éblouissant, ponctuant de leurs cris la basse continue du torrent, le cluster des abeilles, la symphonie des passereaux et notre progression silencieuse. Les biches sont là, au rendez-vous du Grand Creux, qu’on regarde détaler entre les arbres. Rimski aboie dans les graves, on pourrait croire que c’est pour la forme et qu’il commence à s’habituer à l’interdiction qui lui est faite de leur courir après, jusqu’à ce qu’une secousse qui manque me faire choir me ramène à la réalité de sa nature de Samoyède.

Bientôt me voici dégringolant dans la glaise, pataugeant dans le nant, parce que j’ai laissé Rimski décider de l’itinéraire et que mon chien, mu par l’attrait et l’odeur des biches plus que par la mémoire de nos premières promenades je suppose, a décidé de remonter en direction des abris que nous avions naguère ornés avec les enfants.

Je franchis tant bien que mal le guet qu’il avait eu tant de mal à passer lorsqu’il était chiot, que la débâcle rend aujourd’hui relativement périlleux et que lui franchit d’un bond sans se mouiller les pattes. Je me glisse sous une branche et me retrouve le nez sur une limace noire.

Ici se juxtaposent les temporalités : les pierres immuables mais pourtant érodées par le courant qui emporte les plus petites ; la poussée lente des arbres qui se sont réveillés ; celle plus rapide et néanmoins invisible des mousses et des feuilles ; le délitement discret de l’homme qui remonte la pente pour remonter le temps, retendre les ressorts de son horloge interne, revivre le printemps…

On slalome d’une rive à l’autre et l’on déboule à quatre pattes, lui en sautant, moi en rampant, dans nos abris « néo-préhistoriques ». Des feux anciens il reste des pierres noircies. À l’intérieur de l’« abri mammouth », la figure principale est toujours bien visible, mais les mains ne sont plus que des traces rouges informes. Je m’assois longuement sur le seuil de l’abri et me laisse griser par le Nant, par le temps, lorsque je rentrerai tous mes cheveux seront blancs…

Puis je remonte au soleil en passant par cette clairière où les chevreuils récemment ont dormi sur un matelas de vieilles fougères, où les sangliers ont retourné la terre et où les bouleaux hirsutes prennent si bien la lumière. 

17/03/23

 

Ce contenu a été publié dans 2023. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.