Vigie, septembre 2023

 

Sur les crêtes du monde nouveau

 

 

Sur les crêtes du Petit Cucheron flotte une odeur de résine, d’humus, puis de feuilles mortes, puis de champignon qui me met en arrêt, tous les sens aux aguets, en quête du cèpe que je ne vois pas ; Rimski ne comprend pas mais il patiente. Dix mètres plus loin, une fragrance que je ne perçois pas le met dans l’état où j’étais, et c’est à mon tour de patienter. Nous n’avons pas les mêmes capteurs, la même grille d’analyse ni les mêmes intérêts, mon chien et moi, mais nous cheminons bien ensemble, unis par le cordon jaune de la longe, les habitudes et l’attention aux choses. En général nous sommes assez silencieux, sauf quand je soliloque ou qu’il se met à aboyer parce qu’un chevreuil le nargue.

À la lumière du levant, le gros rocher se nimbe non de mystère mais de présence : il apparaît, on ne voit plus que lui, château de la Merveille ; puis, plus loin, ce sont les troncs gris et lisses des hêtres, et celui plus lisse encore d’un arbre mort, et les mille gouttelettes d’un champignon d’arbre qui brillent à contre-jour. Je crois que j’aime plus que tout ces tapis de feuilles qui jonchent la hêtraie en automne : ils sont beaux à voir, bons à sentir, excellents à fouler. Je m’offre une descente acrobatique sur ce toboggan automnal, en une bruissante dégringolade qui ravit Rimski d’autant plus qu’il a compris maintenant que s’il m’attendait au bas de la descente au lieu de continuer à tirer, il avait droit le plus souvent à une récompense, à tel point qu’il me semble presque guetter les descentes (mon samoyède mange peu, mais il est gourmand).

Ah, le bon vent sur ce sommet de la crête avec vue plongeante sur la Maurienne ! Ici le soleil n’est pas filtré par les arbres et tout a brûlé. Je m’avise soudain que ce tapis de feuilles sous les hêtres qui faisait mon bonheur n’est pas normal : il y en a trop pour un 3 septembre, et surtout trop de feuilles vertes (d’un vert triste). Il n’y a en revanche toujours aucun champignon, pas une trompette, pas une girolle, pas un cèpe, ni aucun autre champignon. Peut-être nos cueillettes ne seront-elles bientôt plus qu’un souvenir du monde d’avant.

En attendant, Rimski parcourt un monde tout neuf.

03/09/23

 

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