Vigie, septembre 2023

 

Deux pas de côté

 

 

Il a neigé sur les sommets et l’on a senti, on sent encore, un souffle froid qui rassure : « heureusement qu’on va vers l’hiver », me dis-je en paraphrasant le titre du livre de Christine Rochefort lu cette nuit. Même dans l’après-midi en plein soleil, à cette heure où les abeilles vrombissent comme des folles tout autour des ruches, on sent le bon vent, le joli vent qui appelle.

Ce qui cependant m’appelle, ce sont les taches blanches éclatantes de deux grosses vesses de loup sur l’herbe encore bien verte. Je bifurque, et constate qu’aux deux tâches blanches des champignons répondent dans le ciel bleu les deux tâches presque symétriques de deux nuages blancs : il y a des motifs qui semblent n’avoir été mis en place que pour le plaisir du photographe.

Je poursuis mon chemin en traversant les grands prés puis le bois et me retrouve bientôt en fâcheuse posture, à dévaler la pente raide au milieu des ronces après avoir laissé Rimski suivre une trace. Je finis par rejoindre le Gelon que je redescends tant bien que mal jusqu’au pont de la Passerelle où je reprends la promenade habituelle. Ce détour n’a engendré aucune rencontre extraordinaire, et pour moi nulle sensation nouvelle, seulement l’embarras d’avoir à me sortir des ronces en évitant de me laisser emporter par Rimski ; pour Rimski, en revanche, il en est tout autrement : ce pas de côté l’a mis dans un état d’excitation extrême, comme s’il s’était agi pour de bon d’un trajet inédit ou comme s’il avait vu la bête dont il suivait la trace. Ma connaissance du lieu s’en trouve néanmoins un peu agrandie : la prochaine fois que je passerai sur le sentier ordinaire, rive droite du Gelon, je saurai quel fouillis se cache en face sur la rive gauche.

24/09/23

 

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