Vigie, septembre 2023

 

Enfin la pluie

 

 

Au moment où je m’apprête à sortir la pluie éclate – une vraie pluie, pour une vraie balade sous la pluie battante. Le manque d’enthousiasme avec lequel Rimski s’extrait du garage fait plaisir à voir. Moi, je pars le pas léger, bien protégé sous mon toit portatif, savourant ce grand chambardement crépitant. Un petit écureuil roux qui s’était imprudemment aventuré sur le chemin provoque la joie de Rimski, qui ne semble même pas déçu de constater pour la énième fois son incapacité à grimper sur les arbres. Je sais que maintenant, à chaque fois qu’on arrivera à cet endroit du chemin, Rimski, plein d’espoir, ira voir si l’écureuil est dans l’arbre.

Bientôt, on n’y voit goutte, on ne voit plus que des gouttes qui dégouttent de partout, des gouttières, des bords du parapluie, des feuilles, et l’on se sent si bien au cœur de ce concert où les percussions dominent mais où l’on perçoit aussi en arrière-plan le grand souffle du vent dans les branches et celui du torrent, on se sent si paisible en ce jour où l’on n’a pas à craindre les chasseurs qui, eux, n’aiment pas la pluie, que vient l’envie de fermer les paupières et de continuer la marche en aveugle.

Est-ce que la forêt a entendu mon souhait ? Elle l’exauce en tout cas, car sitôt franchis la lisière la lumière devient crépusculaire, seule reluit la queue blanche de Rimski que je suis machinalement. Cônes de pin noirs sur la terre noire bombardée de bogues et de feuilles. Limaces noires dans l’eau sombre des flaques. Souche ruisselante qu’on dirait calcinée. De petits scorpions noirs s’égayent dans ma mémoire, mais je reviens aussitôt au moment présent, à l’averse de maintenant. Les balsamines ballottées par la pluie lancent de plus belle leurs graines et leur parfum. L’encre des coprins bave sur les pieds blancs, mais parmi les ruines un grand coprin tout neuf a trouvé moyen de repousser. De tout petits champignons gris bleuté en forme d’ombrelles tentent de passer entre les gouttes. Quant à ces champignons blancs amateurs d’humidité, on ne voit qu’eux sur le sentier que demain ils auront colonisé tout entier.

18/09/23

 

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