Vigie, septembre 2023

 

En liberté

 

 

Pour la première fois peut-être depuis toujours, l’onde de choc de la rentrée bouleverse à peine le mouvement de l’écriture entamé cet été. Sitôt rentré, je me remets au livre, dont il faut soigner les enchaînements et les échos si je veux que la ligne narrative ne se perde pas trop dans le fouillis des souvenirs. C’est un travail au fond assez comparable à celui que l’on fait dans une dissertation, quand il s’agit de ne pas perdre le fil du sujet — ce que j’ai une fâcheuse tendance à faire lorsque j’écris librement. Ici, il faut concilier les rapprochements inattendus, la surprise des détours, avec la cohésion d’ensemble. Je ne suis pas sûr d’y parvenir mais je m’y efforce, porté par la conscience de ce que ce livre est peut-être le premier susceptible d’obtenir une plus large audience, grâce à sa forme romanesque, à son propos ancré dans un lieu et plusieurs époques. Je ne sais pas. J’éprouve en tout cas un plaisir croissant et assez constant à écrire, petit feu attisé par l’envie d’en finir et de voir le livre publié, mais ralenti par la crainte de bâcler, d’être trop bavard, trop tourné vers moi-même, vers mon parcours et des questionnements littéraires qui sont en quelque sorte mes intérêts spécifiques. Ce qui comme toujours me fait défaut, c’est une capacité d’abstraction suffisante, ce qui rend les passages réflexifs laborieux, mais je travaille, j’y travaille, porté par le café et la musique japonaise qui accompagne l’écriture de ce livre comme le « train bleu » de Coltrane a accompagné Entre deux gares.

Rien n’est meilleur, cependant, que de sortir faire le tour de La Martinette après une après-midi passée à écrire dans la cave. On savoure mieux le dehors après un temps d’enfermement. Le ciel gris offre sa protection. Toutes les poules sont dehors, dispersées dans l’herbe encore verte du grand pré, nullement inquiétées par le chien blanc qui ne fait aucun cas de leur présence (Patawa aurait tout fait pour les croquer). Peu à peu le souci du livre reprend le dessus, et je repense aux enchaînements des trois derniers chapitres sur lesquels j’ai travaillé ; une goutte d’eau qui tombe sur mon crâne et le parfum des balsamines me ramènent à ma promenade. Je pense à Léo, le lointain, qui donne peu de nouvelles mais semble aller bien, puis aux limaces sur le chemin. Cela apaise mes inquiétudes par rapport à la cohérence des enchaînements de mon livre : est-ce que la vie est cohérente ? Est-ce que ce qui défile dans ma tête, me faisant passer des balsamines au livre, du livre à Léo et de Léo aux limaces, a le moindre sens ? Eh bien, puissé-je écrire d’abord un livre vivant, ancré dans l’expérience de son écriture plutôt que soumis à un plan, une idée préconçue de ce qu’il doit être et de ce que sont les attentes d’un éventuel lecteur. Puissé-je n’écrire qu’en liberté.

19/09/23

 

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