Vigie, septembre 2023

 

« Pourquoi, je voudrais savoir pourquoi… »

 

 

Vers l’ouest les falaises de la Chartreuse se sont teintées de rose, mais l’on ne voit toujours aucun nuage dans le ciel sans ombres. Les coulemelles fraîchement sorties sèchent dans les champs. Le premier coup de feu en contrebas rappelle à la réalité de la violence : c’est aujourd’hui l’ouverture de la chasse. Les jeunes chevreuils de l’année assurément ne pouvaient pas imaginer cela, eux qui avaient fini par se laisser approcher même par Rimski. On imagine à peine la panique qu’a dû susciter ce premier coup de feu dans la mémoire de toutes les bêtes qui ont connu les précédentes tueries.

Pour la première fois depuis un an, on descend vers la forêt avec anxiété. Voici justement deux chevreuils sur la colline, que les aboiements de Rimski malencontreusement rabattent vers le bois, peut-être vers la chasse en cours. La chasse, mon cher loup blanc, si je le détachais il ne ferait plus que cela. Moi, hésitant à l’orée du bois, je ne comprends pas comment on peut laisser une infime minorité très bien organisée politiquement imposer ses lois à la loi, ses contrevérités aux vérités scientifiques, ses plaisirs mortifères et dangereux. Pourquoi, nous autres promeneurs pacifiques, sommes-nous tellement incapables de nous organiser et de nous faire entendre ? Pourquoi la France reste-t-elle empêtrée dans une vision et des pratiques d’un autre âge ? Et puis : « pourquoi, je voudrais savoir pourquoi c’est les oiseaux, jamais les balles, qu’on arrête en plein vol ?… »

Le deuxième coup de feu retentit plus loin derrière nous, tout va bien : la chasse comme la guerre sont encore assez loin, ce n’est probablement pas aujourd’hui que Rimski ou moi-même mourrons d’une balle. On traverse à pas vif l’odeur poisseuse des balsamines, dont les gangues éclatent à notre passage.

10/09/23

 

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