Route, janvier 2014

 

« NOTRE VIE C’EST MAINTENANT »

 

Huit heures moins dix, deux degrés. Et je repars sur cette route que je tente bon an mal an de prendre au sérieux. Tout à l’heure je dirai sans doute à mes élèves de Troisième qu’il faut prendre la vie au sérieux. Je leur reprocherai de n’avoir pas consacré à leur carnet de bord le temps et l’énergie nécessaire et je leur dirai que je vois là sans doute une forme de futilité, une manière de ne pas vouloir prendre au sérieux la réalité présente de leur année de Troisième, la seule réalité qui vaille ; j’ajouterai peut-être, comme Prévert, que « notre vie c’est maintenant ».

Plus facile à dire qu’à faire. Prendre son présent au sérieux demande une vigilance, une opiniâtreté, voire un acharnement (mais cela devient vraiment trop tendu) dont on n’est pas toujours capable. Plus précisément, il faut des circonstances particulières pour que la nécessité d’une telle vigilance s’impose. Pour Chloé, mon élève polyhandicapée, c’est l’évidence même, dont l’intensité des paroles inscrites dans son carnet de bord témoigne. Il faudrait donc être privé de la parole et du mouvement pour prendre au sérieux sa vie ? Ce serait là une revanche bien paradoxale sur le malheur. Quelle est cependant cette paresse qui nous pousse à préférer presque systématiquement le confort à l’intensité ?

Ces paroles très générales ne sont peut-être elles-mêmes qu’une sorte de diversion, de divertissement, et il convient de revenir encore et toujours à la route.

La citadelle du Granier sur fond de gris bleuté.

Le signal orange clignotant à l’entrée de Presle.

La maison des pompiers et ces silhouettes entrevues à la fenêtre.

Cette jeune fille qui attend le bus du collège, seule dans le matin frais.

Un virage à gauche, un virage à droite, que l’on s’efforce de prendre avec délicatesse.

L’art des virages !

On roule sans gravité ni inquiétude, malgré le panneau triangulaire « verglas fréquent », parce que l’hiver, cet hiver, est exceptionnellement doux.

On s’étonne de ce que le gris, décidément, fasse si bien ressortir les couleurs. Même le blanc du Granier encore recouvert de neige paraît plus éclatant, ainsi découpé sur ce fond de ciel gris. Je pense au passage à la grande vague d’Hokusai, à ces bleus-blancs sur fond de dégradés gris.

Le jour point du côté des Grands Moulins et l’on traverse doucement le village d’Arvillard illuminé par les décorations de Noël.

À l’approche du Gelon, voici la brume. Une brume légère, gris bleuté elle aussi. La température qui était montée à quatre degrés redescend à deux. On ne voit plus ni Granier ni Grands Moulins, juste la route gris-bleu qui s’enfonce à travers les arbres et la brume.

Avec le redoux les cerfs ne se montrent plus. Je regrette un peu les rencontres de l’an passé.

Un chat tigré en chasse traverse l’herbe rase, tandis que je file à travers les prés gris…

Mercredi 8 janvier

 

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