Vigie, juin 2014

 

 

JOURS DE JUIN

Un coq lance au loin le caillou de son cri, qui tombe à plat sur l’étal de l’été. Vieille bête, tu peux toujours tenter tous les éclats que tu veux, il fait déjà trop chaud pour s’émouvoir !
Temps arrêté. Un nuage en forme de tourbillon ne bouge ni ne se déforme. On n’a pas encore fait les foins, aussi les hameaux et la route se trouvent-ils cernés et presque étouffés par les hautes herbes dans lesquelles se tapissent les chats, les chevreuils, les renards, les faons (quelques-uns finiront fauchés par les engins agricoles). Il n’y a de toute façon plus assez de vaches (on entend les clarines du troupeau le plus proche) pour maintenir l’alpage ouvert, et le paysage inexorablement se ferme.

Repli estival – le foin pire que la neige, et ce temps immobile.

Les appels se font rares : le coq n’insiste plus, mais le rougequeue froisse encore son papier et puis, on entend de très loin des voix d’enfants qui jouent, la rumeur d’un avion, un bourdonnement d’insecte, des bruits d’été.

Naturellement il ne s’agit que d’arrêts sur images, car tout continue de bouger à des échelles parfois imperceptibles : le nuage, qui finit par se disloquer ; la cime du poirier qui oscille, qui acquiesce (à quoi ?) ; le scripteur-observateur qui, lui aussi et à son corps défendant, se disloque, se dissout, oscille et acquiesce à son tour.

Très haut dans le ciel qui a blanchi depuis les bords (il faut des jumelles pour voir cela) deux aigles tournent en spirale ascendante. L’autre jour déjà ils tournaient ainsi, mêlés aux amateurs de vol libre, et l’on aurait dit deux parapentistes sans parapentes. Aujourd’hui le ciel est vide et les deux points presque invisibles des aigles s’éloignent, semblent bus par le blanc – on ne sait plus très bien si ce sont encore des aigles, ou bien une illusion d’optique.

Ainsi s’étirent, se disloquent et se dissolvent les premiers jours de juin.

9 juin 2014

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