Rues, parkings et bords de routes

 

 

 

 

LE PARKING

 

 

Soudain on entend la rumeur des oiseaux.

On était parti, volontairement parti, et soudain on entend et on voit à nouveau.

Deux canards qui traversent le gris en moulinant.

Ce tilleul rachitique aux bourgeons maigres sur fond de béton gris. 

À regarder passer les gens on voit bien à quel point la bipédie est lourde à assumer. Des enfants, de vieilles personnes avancent voutés. Beaucoup semblent pris d’une étrange maladie qui leur donne un air hagard et leur fait pencher la tête contre leur épaule, à droite ou à gauche : ils marchent en parlant à voix haute, un peu comme je le fais parfois moi-même mais avec l’air encore plus égaré. Ils parlent à des gens qui ne sont pas là. Je parle aussi à des gens qui ne sont pas là. À dire vrai je ne parle à personne. Je soliloque. Mais ça n’est pas pour régler un problème matériel, savoir si je dois acheter telle ou telle chose, annoncer mon arrivée imminente ou mon départ; c’est plutôt, ce devrait toujours être pour être là. À mesure que je parle, je vois. Et quand je vois, je parle.

Là-bas sur la voie rapide un grumier passe qui transporte des troncs d’arbres. Devant moi le nouveau supermarché a tenté de reverdir son image en remplaçant justement par un tronc d’arbre (fendu du haut en bas pour permettre la dilatation) les anciennes colonnes métalliques. On a également remplacé par un tourniquet les grandes portes automatiques devant lesquelles je me souviens m’être naguère affolé, allant de l’une à l’autre sans comprendre qu’il ne fallait pas s’approcher brusquement de l’ouverture car cela en rendait l’ouverture impossible (ce fut, parait-il, une scène burlesque digne de Tati). Je regarde les gens entrer et sortir par ce tourniquet.

Un vieil homme ventripotent rallume sa cigarette.

Une femme au béret et au sac orange, un bouquet de fleurs orange négligemment tenu par le papier entre deux doigts, embrasse une autre femme à l’écharpe rouge, puis chacune s’en va de son côté.

Va-et-vient de la vie.

Dans chaque adulte, chaque vieillard, j’imagine un enfant. Dans chaque enfant, j’entrevois un vieillard. C’est peut-être pour cela que tous ces enfants adultes semblent lourds. Ils traînent avec eux le poids de leur responsabilité, ces caddies à remplir, ces voitures à conduire qui ne sont plus des jouets.

À propos, que comptent faire ces jeunes filles avec, dans leur caddie, une bonne vingtaine de baguettes ?

Un barbu aux cheveux gris marche très droit, le regard lointain, en tanguant légèrement sur le pont du parking jusqu’à sa voiture dans laquelle il embarque comme sur un voilier…

 

Chambéry, 6 mars 2013

Ce contenu a été publié dans L'entre-temps. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.