Route, mars 2013

 

 

CLAMEURS ET BROUILLARD

 

Le brouillard froid atténue les clameurs d’oiseaux, qui seules permettent de distinguer mars de novembre. Temps intermédiaire, toujours mouvant, où l’on habite dans un nuage. Temps des derniers resserrements avant le grand élargissement des beaux jours. On se blottit dans le cocon de son corps, de sa chambre, ou encore de la voiture, baigné par brouillard. On flotte entre les deux lignes blanches des derniers tas de neige. Bien sûr la ligne de partage entre la réalité et le rêve est devenue particulièrement ténue : seule la coupure du froid sur le dos de mes mains, et la certitude de la très grande peur et de la terrible douleur qui suivraient l’accident si, par lassitude, insouciance ou trop grand abandon à cette sensation vaporeuse de l’irréalité des brumes, je poussais un peu trop sur l’accélérateur et filais droit dans le ravin, seules ces sensations-là raccrochent quand même à la réalité. 

(La réalité ? Ce rêve qu’on interroge, en plein brouillard.)

Perce-neige éclatant et vol de corneilles qui percent le brouillard. Quelque chose de funèbre, d’inquiétant, comme ces troncs blessés des châtaigniers qui bordent la route.

Assise dans l’herbe mouillée, les deux jambes tendues devant elle, une petite fille attend son bus pour aller à l’école. 

Un chat noir fait le dos rond devant un trou de taupe. 

Ici le brouillard se dissipe un peu, une longue ligne droite permet à la voiture qui, depuis quelque temps, me serrait assez imprudemment, de me doubler ; on imagine le soulagement de la conductrice, probablement exaspérée par ma lenteur.

On a taillé les haies. Les gens aussi se préparent au printemps qui, pareil en cela à l’éveil, est déjà là, mais qu’on peine à percevoir.

Des mots incompréhensibles dansent et glissent sur le pare-brise, effacés à intervalle régulier par les essuie-glaces. 

De jeunes chevreuils broutent en terrain découvert (je n’avais d’abord vu que la tête du plus jeune dépasser un peu au-dessus d’une butte). 

Et puis, voici encore le petit cimetière dont le mur commence à s’effondrer, avec tous ces morts, tous ces restes déposés là, et qui attendent quoi, quelle visite, quel souvenir ? (La tombe des grands-parents, là-bas, à Montluçon, qui s’y recueillera ?)

Ce matin encore, faire ainsi entendre malgré le brouillard non pas une clameur, mais ce petit murmure par lequel je m’entête à tenter de tenir la haute note de la réalité — qui est un rêve de merle blanc perdu dans le brouillard de mars.

 

24 mars 2013

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