Route, mars 2013

 

 

DES SIGNES INDUBITABLES

 

Naturellement, on ne peut pas s’empêcher de chercher à travers les signes indubitables de renouveau, des signes qui nous concerneraient en propre, qui diraient notre propre renaissance. On fait fausse route : cette route-là, à main droite, encore complètement barrée par la neige et tout à fait impraticable, nous le dit à sa manière. Ce renouvellement incroyable de la nature au début du printemps, nous concerne profondément, c’est-à-dire qu’il ne concerne pas l’individu que nous sommes, mais notre être tout entier. 

Encore et toujours il n’est question que d’entrer dans la danse du temps et du monde.

Les champs encore couverts de neige sale bombardée de branchages. 

Les bois sombres, et cette brume légère qui s’y accroche. 

Les ornières absolument recouvertes de branchages et d’aiguilles, trace de la première tempête printanière, ou de la dernière tempête hivernale c’est selon. 

Partout des flaques d’eau luisante et grise (pas argentée, d’un gris étal et brillant, sans miroitement). 

On laisse à main droite la mare aux grenouilles : partout sur la route les grenouilles rousses écrasées. Un carnage. Il y a là de quoi nourrir tous les charognards pendant plusieurs semaines. C’est beaucoup trop. 

Ainsi le printemps est-il proclamé dans toute sa vigueur et sa cruauté, à travers les chants, les accouplements, le massacre des grenouilles rousses. Massacre d’ailleurs largement compensé par ces millions d’œufs qui grouillent en ce moment dans la mare.

Puis quand même on se réjouit de ces retrouvailles avec la brume, les grands nuages la montagne grise, les images de la route. 

On retrouve avec attendrissement cette vallée noyée par les nuages. Et c’est un peu comme si l’on retrouvait un livre qu’on a lu ou écrit autrefois, et qu’on avait délaissé.

Le champ aux cerfs, désert. 

Les nuages débordent de la vallée et forment une colonne verticale qui monte directement au ciel, formant une sorte de champignon atomique assez impressionnant. On songe que c’est aujourd’hui le deuxième anniversaire de Fukushima (tout à l’heure en classe : « c’est l’anniversaire de Fukushima — les élèves se tournent vers Charline : bon anniversaire Fukushima ! »). 

Partout des cascades, cascades des gouttières, cascades le long des ornières, milliers de fines cascades à travers les champs détrempés. 

On cherche en soi ce qui pourrait ainsi cascader. 

Deux canards traversent.

Pas d’unité dans ces images et dans ces lignes ; rien que des bribes d’images, de pensées, de sensations, de sentiments, et le désir confus de donner au moins une direction à tout ça.

 

11 mars 2013

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