Route, mars 2013

 

 

 

PROMENADE MATINALE

 

La route trempée par l’averse printanière. Trois degrés au thermomètre. Petit matin froid de printemps. Le printemps. On se réjouit de la route apparemment sans obstacle. Plus une sensation qu’un sentiment. La sensation du torrent délivré. La sensation de l’eau qui court. La sensation de l’arbre soudain allégé de sa charge de neige. Comment imaginer la sensation du rougequeue de retour d’Afrique, et qui retrouve ce lieu froid resté gravé dans un petit espace de sa petite mémoire oiseaux?  Pour l’oiseau sans doute aussi, rien que des sensations, mais sans parole. 

Trois degrés. La pluie. Le rougequeue fait sa toilette, sautille, s’incline, s’affaire, préparant le nid pour l’arrivée prochaine de la femelle. On a réparé le trou de l’avant-toit, et les rougequeues cette année ne pourront pas faire leur nid dans la maison. On le regrette un peu. Il faudrait penser à installer à cet endroit un nichoir, avec un trou au bon diamètre. Oui, il faudrait faire cela, rapidement, avant l’arrivée des femelles.

(On a connu beaucoup d’animaux tutélaires. Loup et lynx de l’enfance, bouquetin, gypaète, tétras-lyre, fou de Bassan, cormoran, ara, ermite… Le rougequeue maintenant s’impose, à cause de son chant de papier froissé, de son nomadisme intermittent, de sa propension à s’incliner.)

Roulé jusqu’ici avec le frein à main, d’où une certaine résistance ; c’est encore mieux sans le frein à main. Je pense à toutes les circonstances de la vie où l’on n’est pas conscient de ce qui bloque, de ce frein insaisissable qu’on a négligé de desserrer.

Ciel nuageux bleuté côté nord, argenté côté sud. Brouillard et brume. Paysage japonais. Le mur immaculé du jaune pâle des primevères en fleurs. La grande bâtisse délabrée recouverte de mousse, tapie comme toujours au fond de cette combe où jamais le soleil ne parvient. La passe aux biches. Promenade du matin.

Ayant prononcé cela, « promenade du matin », on sent que tout est dit, que tout soudain s’est rassemblé, dans ce titre compact —  mais un instant seulement car déjà la réalité le déborde de toute part et d’autres images viennent, que l’on sent le besoin de verbaliser, comme celle de ces vieux châtaigniers du bord de route pour lesquels on se sent tout à coup une affinité particulière. 

Tout est dit, tout reste à dire. Les formules ne sont là que pour suivre et redire le désir.

 

12 mars 2013

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