Vigie, novembre 2014

 

 

 

LE RETOUR DES BECCROISÉS

 

 

L’hiver n’est pas venu. Le givre a bien crayonné quelques fougères sur le pare-brise de la voiture, mais la douceur est revenue. Un grand vent tiède s’est levé, qui mugit dans la vallée et chasse les nuages. Il n’y a plus de neige sur les crêtes brunes. La lumière est sans obstacle, qui traverse les feuillages clairsemés. Cela ne ressemble à nulle saison connue : c’est une saison nouvelle, en quelque sorte. Peut-être va-t-il falloir modifier les idées qu’on se faisait des saisons… 

 

Les beccroisés cependant sont de retour. Je reste à la fenêtre à les regarder, à les photographier. Leur présence me comble de joie. Je compte six couples — la femelle en jaune, le mâle en rouge — qui ont repris dans les branches nues des pruniers et du poirier leurs habitudes de l’an passé. Je m’étonne d’en éprouver un tel soulagement. C’est un peu comme si la réapparition de ces petits perroquets extravagants venait compenser la disparition des rougequeues…

Le beccroisé bien sûr incarne l’avifaune montagnarde, mais aussi la persistance de la diversité, de la beauté des oiseaux. Je me souviens des bouvreuils, des tarins, des bruants jaunes, que je ne vois presque plus aujourd’hui mais que j’observais à ma fenêtre lorsque j’étais enfant ; ainsi des beccroisés en ce jour de novembre.

La douceur, les appels du vent donnent une folle envie de partir marcher dans les prés, en forêt peut-être (ce serait dangereux). Pris par diverses obligations je reste à la fenêtre et me contente de regarder de loin. Cette lumière-là donne envie de danser. 

Je m’affaire. 

Je fais le ménage dans la maison, aspire, frotte, fait briller, fait reluire. 

Lorsque tout est en place je travaille un morceau difficile sur le Pigini flambant neuf, noir et brillant comme un piano. 

Saison neuve, voix nouvelle, poumons plus vastes — et ce souffle que j’apprends à maîtriser, à retenir… 

C’est une journée paisible et lumineuse. Je m’étonne de pouvoir dire cela si peu de temps après la mort de ma mère, qui me regarde à travers ce portrait posé près de la lampe. Ce n’est pas une photo mais bien elle, qui me regarde et qui sourit, qui est là avec moi et qui se réjouit de la douceur de novembre et des ballets des beccroisés.

 

25 novembre 2014

 

 

 

 © Lionel Seppoloni, tous droits réservés. 

 

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