Vigie, avril 2010

 

 

  

JE N’ÉCRIS PAS

 

 

Quelque part dans la forêt d’Avalon, assis sur ce replat au-dessus de la rivière où j’aime m’embusquer et où j’ai emmené Léo, j’attends le rituel du soir − Léo précise : « de Tchenrézi ». J’avais promis d’y emmener l’enfant, à cause des instruments de musique tibétains, de la conque, des coussins, des couleurs, des lumières et des chants. Temps très doux, très calme. Nous sommes seuls dans la forêt, en compagnie de la mousse, de la rivière et de quelques centaines d’oiseaux, de chevreuils et d’insectes invisibles (« Et des sapins aussi, papa, on est en compagnie des sapins ! » − Léo veut que je lise à voix haute ce que j’écris, et corrige). 

 

« On va grimper là-bas ? » Mais nous sommes déjà si haut ! « On joue à cache-cache ? — Un… Deux… Trois… »

 

*

 

Grand soleil au pied du stûpa. Lama Denys passe et actionne le moulin à prières. Cascades et chants d’oiseaux, tintinnabulement des cloches. Refaite à neuf la Chartreuse n’a plus rien austère, et c’est tout le lieu qui pratique « tonglen » avec ses visiteurs, « accueillant et offrant ».

 

Je reste silencieux, je me passe de mots. Je n’écris pas. Je reste silencieux, je me passe de mots. Je n’écris pas. Pour la première fois peut-être depuis que j’ai douze ans, vraiment, je n’écris pas (et ces mots-là, c’est après coup que je les rajoute). J’ai même changé de nom, choisi un autre cap, tenté un autre détour, avec la candeur et l’enthousiasme du débutant… Bien sûr je ne lis plus que de savants ouvrages qui parlent du Dharma, m’habille en bordeaux et safran et reste assis des heures sur un coussin à dire vrai confortable… 

Parfois je parle, souvent j’écoute : cette mère d’un futur retraitant venu assister au séminaire, où ces compagnons qui seront de la prochaine retraite (je penserai à eux). 

Un coup de vent dans les drapeaux.

 

Si j’avance, c’est sans plus laisser traces.

 

Je suis plus doux, plus patient, plus fragile, un peu moins orgueilleux je crois, et plus aimant, et plus aidant.

 

Ainsi je me prépare au meilleur et au pire.

 

Je suis venu ici en effaçant les traces et en laissant les livres et mon histoire pour « laisser place à la bonté dédaignée », ainsi que je le relirai plus tard chez Philippe Jaccottet. C’est ce qu’il fallait faire. Je ne regrette pas, et je ne me raille pas…

 

 

18 et 22 avril 2010

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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