LA ROUTE EN JUILLET

Tout autour des maisons les débroussailleuses ont rasé l’herbe, maintenant ainsi un périmètre de sécurité entre la folle exubérance des grands champs et nous-mêmes. Cela fait une route bordée de paille et de talus ras.
C’est un matin de grande chaleur. Avec la canicule le vert vire au jaune, et le ciel retrouve cette pâleur bleu livide des journées les plus chaudes. Le pare-brise est une œuvre de peintre pointilliste, toute mouchetée de pollen (mécanicien déplorable, je n’ai toujours pas trouvé l’emplacement du lave-glace ; je suis venu avec une éponge et de l’eau savonneuse pour nettoyer, puis j’ai estimé que c’était très bien ainsi et que je ne pouvais pas toucher à ce chef-d’œuvre…).
À l’abribus un seul élève attend, qui me regarde avec un air goguenard en se disant probablement : « Encore là, celui-là… » On croise néanmoins des engins de la DDE ainsi que quelques tracteurs et de nombreux vélos.
Cette fois les roses de Presle semblent vraiment défaites, comme des fleurs de papier froissé. Il y a dans ce bosquet d’hortensias bleus pâle, pervenche et rose clair quelque chose d’infiniment mélancolique, et beaucoup de dignité dans les noyers du carrefour…
On tourne vers les crêtes, on rêve de hauteur, puis on s’enfonce dans la forêt qu’ornent les grandes gerbes blanches des reines des bois (je n’aime pas beaucoup ce nom, qui m’évoque une publicité pour un yaourt à la fraise ou, en tout cas, quelque chose de sirupeux ; celui de « barbe de bouc » me déplait tout autant, et je n’ai pas retenu le nom latin ; je devrais donc revenir à la simple expression de « grandes fleurs blanches », qui a le mérite de parler à tout le monde – mais j’aime aussi la précision…).
À Arvillard les travaux ont bien progressé, et je me dis qu’à la rentrée la nouvelle maison sera peut-être habitable.
Les merles comme toujours traversent au dernier moment juste à hauteur des roues, et il faut être prudent pour eux qui ne le sont guère (il m’a l’autre jour fallu piler sec non pour un merle mais pour geai suicidaire).
Ici les reines des bois ne sont plus des grandes fleurs blanches mais des bouquets secs. Grandes herbes sèches aussi dans les champs, air brûlant qui pique aux narines. Les pommes commencent à rougir. Il y a déjà, même en cette matinée de plein été traversée d’hirondelles et de martinets, comme un avant-goût de la rentrée d’automne — peut-être parce qu’il est rare que je fasse ce trajet en juillet et qu’il reste souvent en septembre de belles traces de l’été, peut-être parce que septembre peut indifféremment être considéré comme le dernier mouvement de l’été ou le premier de l’automne.
Je traverse tout cela nonchalamment, moins pressé encore que d’habitude parce qu’il n’y a plus d’élèves au collège.
Personne pour attendre le bus le long de la route, ciel absolument vide.
Cette route en juillet : sans obstacle, sans espoir, sans illusion.
2 juillet 2015


