Route, juillet 2015

 

 

 

DERNIER ALLER

 

 

Dernier aller de juillet, pour un nouvel « entraînement aux adieux » (« C’est mon premier départ ! » dira, riant et pleurant, bouleversante de candeur et de sensibilité, la jeune femme, la jeune collègue qui s’en va, et l’on sent bien en roulant ainsi qu’on pleurera bientôt.)

Ciel plombé, champs jaunes. Toujours les mêmes images, à quelques variations près — la branche de cet arbre qui bizarrement bouge alors que tout est immobile, ce cadavre dans le fossé d’un blaireau déjà raide… Toujours les mêmes images et la même question de savoir si la fin attise ou atténue, ravive l’intérêt qu’on continue à porter au monde ou bien le voile de lassitude. Je suppose que cela dépend des fois, des circonstances, de l’état de santé, des perspectives offertes. 

Pour l’heure je me laisse glisser sans plus tellement me demander si c’est agréable ou si ça ne l’est pas. 

Dans le virage de Presle la chaussée est pavée de pétales. Les enfants jouent dans la cour de l’école : c’est le tout dernier jour. Je me demande si ce soir, comme l’an passé, tous les CM2 pleureront en sortant de l’école (moi j’en pleure déjà). 

Passe l’homme au chien, à qui je vais finir par faire machinalement un signe de bonjour comme si je le connaissais vraiment — de bonjour, ou d’au revoir aujourd’hui. 

Un coup d’œil dans la descente me donne l’illusion d’un troupeau de chamois : ce sont des chèvres des alpes, très élégantes, que je n’avais encore jamais vues dans ce pré. 

Je croise ce matin encore d’assez nombreux cyclistes qui montent en sens inverse au prix d’un effort admirable. Moi je ne fais rien admirable, je me laisse porter et je regarde avec mes mots comme avec des lunettes.

J’ai oublié quelque chose d’important, j’ai oublié ce que c’était. Peut-être de redire à quel point les couleurs très pâles des hortensias émeuvent ?  (Mais je l’ai déjà dit.) Ou bien de fixer l’image de cette petite fille accompagnée par sa maman à l’école, et qui porte justement dans chacune de ses mains un bouquet d’hortensias ? (C’est cela, c’est cette image-là que je voulais garder parce qu’elle si touchante…)

La vieille croix rouillée du carrefour, je la trouve très belle avec cette lumière de côté, et très belle aussi l’allée des coquelicots. 

Je m’engage dans le tunnel de la forêt que bordent les reines des bois roussies qui se penchent, qui font signe après mon passage à cause de l’air que déplace la voiture (je le vois dans le rétroviseur).

Grand champ jaune et montagne. 

Le verger, le clocher, le petit cimetière au muret décrépi.

Le stop, le village aux hirondelles, le calvaire argenté et la maison de Léna et Lucas.

Les fleurs du lierre au long de la route, et les grands potagers comme des abattis cernés par la forêt. 

Les meules.  

Le ciel livide.

Le crissement des freins.

Dernier aller.

 

3 juillet 2015

 

Ce contenu a été publié dans 2015. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.