Route, juillet 2015

 

 

 

 

LE TEMPS FLEXIBLE

 

 

 

 

Ma route est la même… je n’ai pas le temps…

ROBI

 

 

Route vraiment champêtre, route d’estive, route à faire passer des chèvres et des moutons plutôt que des voitures, route envahie de fougères, de chants d’oiseaux, de châtaigniers en fleurs et de vélocipèdes bariolés ; route au bitume tout luisant sous le plein soleil de juillet, route devenue presque noire, tannée, recuite par le soleil : je te rends visite comme à une très vieille amie quittée depuis peu mais que je retrouve avec joie sur son lieu de vacances. Que deviens-tu ? C’est bien, tu as l’air en forme et je te trouve détendue malgré les travaux… (Je suis moi-même en pleins travaux de plomberie, et c’est la recherche d’un flexible de diamètre 100 pour évacuation de WC qui m’a fait reprendre la voiture aujourd’hui…)

 

Un vélo vert, un vélo bleu, fascinent par l’effort et l’efficacité de la mécanique. En comparaison ma propre voiture est à tout point de vue un monstre de gaspillage… Croisant et regardant un vélo rouge chevauché par un cycliste rouge, je mets une roue dans l’ornière, et repart pesamment. 

 

Des vélos, il y en a partout, et des travaux aussi : dans le petit bois de Repidon on a enlevé la rambarde en bois, qui était toute rongée, pour la remplacer par une autre en béton je crois. Dans les villages les gens travaillent aux champs et aux maisons ; ici aussi on travaille à la route, le parapet refait comme pour une terrasse donnant sur la forêt.

 

Le feuillage vert bronze de la haie des saules têtards a pris de l’ampleur, et la haie semble bien plus grande, qui fait le bonheur des passereaux et embellit le champ.

 

À Presle les roses ont fané et semblent couvertes de poussière. La façade de l’école aussi est en réfection.

 

Chaque feuille de laurier brille et fait comme un chant. La lumière est une vibration, comme les sons. Dire que la lumière chante (« la lumière chante en nous l’essentielle musique… », chantait Vasca) me semble une intuition juste. La science aussi est traversée par ces sortes d’intuitions — Einstein, à seize ans, rêvant d’attraper un rayon de soleil, commence à imaginer ce qui deviendra bien plus tard la théorie de la relativité, à laquelle ni moi ni personne ne comprenons grand-chose comme à la poésie…

 

Einstein et le temps relatif (j’ai lu un article là-dessus ce matin, aux WC…). Lorsque je me déplace, et doublement puisque je le fais en écrivant, est-ce que le temps ne s’écoule pas autrement ? Est-ce que le temps s’écoule vraiment, ou bien est-ce que les choses ne sont pas plus embrouillées, comme cette route qui simultanément s’éloigne et se rapproche dans le rétroviseur ? Il y a le temps qui s’écoule, et puis l’éternité, si merveilleusement frôlée par Proust dans Le temps retrouvé…

 

J’ai vu comme une sorte de merle blanc posé sur le toit d’une maison juste après l’usine de Cascades. Est-ce que c’était un véritable oiseau ou bien un leurre ? Est-ce que l’écoulement du temps, si obsédant et à certains égards si tétanisant, n’est pas un leurre ? (Leurre ou pas la peur est là, et cette fuite du temps comme de l’eau, ces fuites qu’il faut bien tenter de colmater…)

 

Lignes arrachées comme une fuite au temps paradoxal des travaux de l’été… Puis la musique prend le relai, et cette chanson pop obsédante qui me dit que «la route est la même… je n’ai pas le temps…»

 

11 juillet 2015

 

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