Vigie, octobre 2008

 

 

 

EN ATTENDANT L’HIVER 

 

Vigieoctobre2008champs

 

Marche lente à travers les prés trempés, avec au loin la ligne terriblement nette de la Chartreuse.

Nuages, grondement sourd de la montagne.

« Maintenant c’est l’automne, et ça ne durera pas ! », croassent les corneilles.

Clarines.

Les coulemelles ont ressorti leurs bornes blanches qui balisent au hasard un territoire sans grand rapport avec le cadastre ; on se faufile entre les fils pour les cueillir, ne laissant derrière nous que des tiges nues.

Châtaigniers jaunis. Coups de feu, fumées.

 

*  

 

Hier la neige est descendue tout près, à deux-cents mètres à peine, recouvrant d’hiver la tête de la montagne.

« Regarde, la neige ! — Déjà ? »

On monte jusqu’au Pontet pour faire marcher l’enfant dans la première neige.

Petite gelée matinale, et l’on cueille hâtivement les kiwis : une douzaine de fruits maigrelets seulement (sept ans plus tard ce sera l’abondance).

Puis revient le soleil éclatant des plus beaux jours d’octobre. La neige fond vite, ne laissant que quelques rares plaques sur les crêtes du grand champ et le long de la Chartreuse. On se dore sur la terrasse, un bol de thé brûlant à main droite et le chat Chadek, ronronnant de contentement tropical, à main gauche. Les oiseaux semblent plus présents : le rougegorge sur la balustrade sautille, les mésanges à longue queue jouent les équilibristes dans les bouleaux, le cassenoix passe en criant, les rougeuqueues froissent inlassablement leurs copies.

On resterait bien là à attendre l’hiver, ce serait une saine et suffisante inactivité, se dit le professeur oublieux du travail en se servant une énième tasse de thé.

Le coucou chante trois fois.

Des chiens aboient.

Le chat finalement abandonne sa posture de statue égyptienne et se couche mollement.

Presque plus un souffle, mais ce n’est pourtant plus la morne immobilité de l’été.

Tout le week-end me suis senti oppressé par l’insatisfaction d’un temps mal employé et l’incapacité à ralentir la marche des choses — ou tout bonnement à faire mieux que d’ordinaire (id est à écrire), accaparé par les petites tâches, les projets, les travaux. Ici la pression se relâche. Je perds enfin sereinement mon temps à scribouiller, à scruter, à siroter mon thé, n’ayant plus peur et savourant. Débordant de quiétude et de reconnaissance le chat au pelage tout chaud griffe légèrement le carnet en étirant et en rétractant ses griffes. Un lézard glisse le long de la façade ensoleillée.

Je travaille à la première partie de L’éloignement. J’écris lentement, retrouvant comme par magie l’étrangeté des premières nuits à Cayenne et Maripasoula. On était hors du temps…

Peu à peu le soleil se voile, les nuages gagnent du terrain. Un geai passe, qui pique une pomme. Un couple passe, qui fait de même (ce pommier couvert de beaux fruits rouges force l’envie, l’enfant non plus n’y a pas résisté). Les chiens d’ici répondent aux chiens de là-bas en sourdine. Celui du chalet d’en haut, une fois n’est pas coutûme, s’est tu tout le dimanche.

 

2 et 5 octobre 2008

 

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