Vigie, mars 2016

 

 

 

LA VOIX À L’INTERPHONE

 

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Quatre heures du matin (trois heures si l’on oublie cet étrange changement d’heure qui introduit deux fois l’an dans notre quotidien sédentaire le charme du décalage horaire propre aux voyages): ce rêve cruel et lumineux met un terme à la nuit.

Nathalie et moi habitons un assez luxueux appartement au troisième ou quatrième étage d’un immeuble qui donne sur une ville vaste, lumineuse, minérale, avec un fleuve, une esplanade (ville aussi verdoyante et vieille, car je revois maintenant une grange où nous observions nos chats jouer, mais je suppose que le rêve a comme toujours mêlé les époques et les lieux). Les enfants ne sont pas là, comme si, déjà grands, ils avaient quitté le foyer. Nous nous affairons, l’installation semble récente et l’appartement est encore en désordre. Nathalie m’explique qu’un immeuble proche du nôtre va être rasé pour laisser place à une salle où l’on dansera, ce qui naturellement m’afflige parce que je crains le bruit, mais qui provoque aussi de façon beaucoup plus inattendue un regain de nostalgie, comme si je me souvenais d’une époque où j’aurais dansé, ou tout au moins aurais été susceptible de le faire. Je dis, de toute façon, que « ma coupe est pleine de nostalgie » (une phrase entendue, je crois, dans cette belle chanson d’Higelin qu’est « Le Parc Montsouris »).

Soudain l’interphone sonne. C’est ma mère qui vient nous rendre visite pour voir comment nous sommes installés. Au lieu de la faire simplement entrer, je discute avec elle à l’interphone comme s’il s’agissait d’un téléphone. Je suis si heureux de l’entendre. Sa voix amplifiée résonne très clairement dans l’appartement – mais ce qu’elle dit, je l’ai déjà oublié. Je sais que c’était doux, et que cela me remplissait d’une joie extraordinaire.

« On parle, on parle, mais c’est stupide de le faire à distance. Je t’ouvre et on t’attend ! » Je mets ainsi fin à la conversation et commence à chercher partout une tenue convenable (car je suis en tenue de travaux), pestant contre mon incapacité habituelle à retrouver les affaires que j’ai sous les yeux. Nathalie se réjouit tout autant de cette visite. « Tu me laisseras un moment seule avec Josette, j’en profiterai pour lui parler ! » dit-elle. Je finis par trouver un pantalon assorti à ma chemise et m’apprête à descendre à sa rencontre, lorsque je constate avec impatience qu’elle est anormalement longue à venir. Et puis soudain : « Mais non. Ce n’est pas possible, tu sais bien qu’elle ne viendra pas : elle est morte. Comment a-t-on pu l’oublier ? Ce n’est pas possible qu’elle vienne. »

La douleur, aussi violente qu’une franche brûlure, met fin au rêve et se prolonge au réveil. J’écris ces lignes dans l’espoir de réentendre la voix de l’interphone, mais ce n’est plus qu’une musique inarticulée, un écho sans parole, un brouillard. 

 

28 mars 2016

 

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