LES HEURES D’OR
À la fenêtre libérée du givre et de la neige bougent les branches fines du poirier où percent les premiers bourgeons. Une mésange s’y pose, une plume duveteuse au bec. Une corneille qui transporte les brindilles pour son nid passe et repasse dans le ciel trop lumineux. Dehors les enfants construisent une cabane ou courent à travers champs, éperdus d’espace et de bonheur printanier. Si l’on ouvre la fenêtre on entend le tambourinage d’un pic noir qui aussitôt me ramène plusieurs années en arrière, sous d’autres latitudes.
Fenêtre ouverte ou fermée, tout ramène en arrière, en avant, ballotte, fait tanguer – on aimerait dire qu’on frôle à chaque fois le naufrage, si la comparaison n’évoquait aussitôt d’autres naufrages autrement plus cruels qui rendent dérisoires nos petites fragilités de nantis, ces lignes, toute parole.
« Depuis que tu n’es plus là, tu es drôlement présente ! » disait cependant en rêve, cette nuit, le mauvais fils à sa mère ; un peu piqué, le fantôme bienveillant s’est détourné : « Puisque c’est comme ça… − Mais non, je plaisantais. Reste encore. »
Reste encore, on pleurera ensemble sur la misère du monde, la lumière du soir ou l’amertume du temps, on raclera le fond des vieilles nostalgies, on s’étourdira d’anciennes ou neuves images et l’on vivra ardemment, comme on savait le faire, ces heures d’or qui filent entre nos doigts.
On répètera que c’est merveille de vivre ainsi, merveille d’avoir vécu.
13 mars 2016