Vigie, mars 2016

 

 

 

L’ODEUR DE L’HERBE

 

Vigiemars2016jardin

 

D’année en année je deviens de plus en plus sage, mais oui. Je sais maintenant que le printemps exige que l’on fasse quelque chose, quelque chose d’autre que d’écrire des textes à propos du printemps. Il faut quitter la chambre, marcher dans les bois, bêcher la terre du jardin, faire l’inventaire des bourgeons et des chants d’oiseaux, s’emparer des jumelles et noter les dates d’arrivée des migrateurs…

Clément, bientôt six ans, m’attrape par la main et me montre le chemin. Nous nous emparons chacun d’un râteau (un petit et un grand) et ratissons longuement les vieilles feuilles de l’automne dernier, les cônes d’épicéas, les branchages, toute la crasse accumulée. Vent tiède, clameurs partout, parfum de terre, de feuilles et de mousse : c’est merveille de goûter à nouveau à ces sensations-là et de laisser derrière-nous place nette pour la nouvelle herbe. Clément rit à cause de la pluie de feuilles sur sa tête ; puis, ayant dégagé la tombe du chat : « Regarde, tu te souviens quand on a enterré Chadek ? »

À mesure on exhume des vestiges de l’hiver, et même de l’été dernier – restes de seaux, jouets en plastique – ou de plus loin encore : cette souche de thuya, oubliée dans un coin du jardin et couverte de mousse, dont l’extraction avait été naguère un exploit épique et un moment de joie. On regarde de très près les bourgeons et les fleurs du prunier, que becquetaient tout à l’heure les bouvreuils.

La nuit venue le sommeil de l’enfant est peuplé de feuilles, et il revoit défiler sous ses paupières le va-et-vient des râteaux. Son grand-frère peine à s’endormir, tout agité à l’idée de son premier grand départ. Accoudé à la fenêtre, leur père hume l’odeur de l’herbe.

 

30 mars 2016

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

Ce contenu a été publié dans 2016. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.