Vigie, septembre 2016

 

 

 

LA LEÇON DE PIANO

 

Le piano

 

 

Comme les arbres et les bêtes en automne, on fructifie, on s’affaire, on prépare l’hiver en redoublant d’activité.

L’enfant avec obstination, patience ou rage s’empare du livre et annone, méditant têtu en route vers l’éveil de la lecture – et le texte, peu à peu, s’éclaire, en cette magie des mots dont on ne se remet jamais (dont il serait navrant de se remettre). Comme tu as grandi, petit lecteur, petit chanteur, escaladeur de falaises que je vois partir, éperdu de joie, avec ton premier ami ! Tu pars chaque jour pour la grande découverte du monde – cette année, tu vas choisir l’instrument qui t’accompagneras, sur lequel tu pourras t’appuyer, j’espère, comme sur un bon bâton…

La musique est une enfance qu’on garde, qu’on peut garder vivace. Assise devant le piano, Nathalie débute aussi, égrenant les notes de « Aura lee », et c’est merveille de voir, de jour en jour, les signes et les touches apprivoisées, et le temps suspendu à ses doigts fébriles.

Les pupitres se chargent de partitions nouvelles, nouveaux morceaux d’orchestre qu’on déchiffre tant bien que mal. Le tout jeune collégien qui désormais gîte en ce havre offre à son amie un concert privé, cependant que vrombissent les dernières débroussailleuses.

Allongé dans la pénombre à cause de la migraine, surveillant mon monde de loin, ému aux larmes par le moindre souvenir, les feuilles qui tombent ou la beauté de la scène, je continue à peaufiner le livre de mes soliloques routiniers – mes fruits à moi, ce livre aussi vain et aussi précieux qu’un morceau de musique.

La chatte Onça, le petit fauve qui naguère en Guyane jouait les acrobates au-dessus du hamac, reste blottie contre moi et ronronne interminablement, comme si le simple fait d’être là était pour elle la source d’un intarissable contentement.

 

24 septembre 2016

 

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