Une parenthèse en Ardèche (Joyeuse, octobre 2020)

 

 

 

Païolive en octobre

 

Ardèche03

 

Le radeau de pierre flotte au-dessus des failles sur cette canopées de chênes tordus et de térébinthe, et l’on baigne cette fois dans des odeurs de miel, d’amande amère, de mousse fraîche, de feuilles fermentées, d’urine et de salsepareille (j’ignore en fait l’odeur exacte de la salsepareille, mais je viens d’en identifier un plant près de moi et c’est d’abord l’idée induite par ce nom que je renifle en l’inscrivant sur le carnet).

À l’horizon plombé une barre de lumière blanche coupe en deux le vert sombre du bois.

Tombe la bruine, la pluie viendra.

Regarder le vert presque fluorescent des jeunes fougères qui s’épanouissent en contrebas donne le vertige, et l’infini du ciel gris aussi donne le vertige, et les odeurs, et les cris des enfants assourdis par l’humidité qui exacerbe les odeurs mais étouffe les sons. Peu de chants, aujourd’hui, pas même un rouge-gorge. Des rires rouges dans le bronze du bois. La paix qui règne ici est tendue, aigüe, vigilante, sans rien d’affalé ou d’insouciant mais consciente de la guerre et pas moins dynamique qu’elle – c’est la paix à demi-sauvage d’un jour pluvieux d’automne dans le chaos des pierres et des troncs du bois de Païolive.

Les enfants ayant bien navigué d’inselberg en inselberg on donne le signal du départ, de la suite – « allez p’a lâche ton stylo, on va au labyrinthe… »

 

*

 

Dans ce labyrinthe-là, passé le bestiaire au mammouth que l’on retrouve avec grand plaisir, on n’affronte que des ronces et des rochers coupants qui couronnent les genoux des enfants, mais peu de minotaures. À quatre pattes parmi les lianes et les feuilles pourries je retrouve des sensations de Guyane. Accroché la tête en bas comme cette chrysalide sans doute de cigale qu’É. a trouvée, je regrette mon sabre de là-bas – et puis, voici la sortie, et quatre têtes de grands singes alignées tout au sommet de l’arche qui regardent ma progression avec un air moqueur.

Silence et appels, silence plus profond sitôt que s’éloignent et cessent les appels. Un coup de vent frais provoque sur le carnet une petite averse qui efface les mots. Un moustique peut-être attiré par le sang des griffures s’installe sur mon bras, et je le laisse boire.

« Où est-il, Lionel ? » – C’est vrai : où est-il donc passé, l’enfant qu’il fut ? Je crois qu’il écrit quelque part planqué dans le labyrinthe, refusant cette fois de repartir pour autre chose que le parcours du cœur battant, écoutant donc battre entre les pierres, entre les troncs, son cœur d’enfant, posé comme une pierre, vert, vif et silencieux comme un arbre, écrivant, rêvant, savourant la simple joie d’être là, d’être en vie, plein de sève, et bien plus arbre que pierre !

 

Puis on s’enfonce autant qu’on peut dans une grotte, un boyau, et l’on ferme les yeux…

 

 

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