Vigie, novembre 2022

 

Comme un rêve de pluie en novembre

 

 

Hier encore je ne croyais pas vraiment en novembre. Il y avait trop de couleurs, trop de clarté ! Malgré les premiers signes annonciateurs qui auraient dû suffire à me rappeler le caractère inéluctable de l’arrivée des jours sombres (grâce à cette mécanique des saisons dont on constate avec soulagement qu’elle est encore bien huilée), l’hiver me semblait relever d’un futur aussi irreprésentable que ces immenses catastrophes que nous prédisent les spécialistes du climat pour les décennies à venir. C’est toujours ainsi, on a beau faire et beau dire on ne croit qu’au présent, qui était alors si prodigieusement lumineux.

La pluie est revenue, le soleil s’est perdu, et voici que je glisse dans la pénombre charbonneuse du sentier derrière la petite vague d’écume de Rimski, traversant des champs gris et des hameaux déserts dont le brouillard semble avoir bu les habitants (même les chats restent dedans). Voici que je dérive presque en aveugle, comme si je marchais avec les paupières à moitié fermées, emporté par le chant des gouttières, du torrent, de mes bottes dans les flaques, et cette odeur d’encens qui monte des cheminées de La Martinette et me comble de bien-être. Les ronces et les balsamines effondrées baignent dans une lueur qu’on dirait lunaire, mais qui n’est que celle qui émane du crépuscule. Bientôt on n’y voit vraiment goutte, on n’entend goutte, on n’entend et on ne voit plus que des gouttes. Je regarde sans les voir le torrent en crue, le chemin, les arbres noirs. Puis toute cette bruineuse balade se perd, comme la réalité se perd lorsqu’un instant réveillé entre deux rêves à quatre heures du matin par le grattement d’une souris ou le miaulement d’un chat, on regarde mécaniquement son réveil avant de se rendormir.

09/11/22

 

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