Vigie, novembre 2022

 

Derniers feux

 

 

C’est une fin d’après-midi de lumière intense et de contrastes fous. Perçant une échancrure de ciel bleu nimbée de blanc éblouissant, le soleil incendie de l’intérieur la nappe anthracite qui est en train de recouvrir le reste du firmament. Tout bouge, tout change de seconde en seconde, et de ce mouvement se dégage une sensation d’ouverture majeure, avec clameurs d’oiseaux, rumeurs de feuilles, comme si toute la vallée s’était mise en alerte. Une troupe d’étourneaux traverse en piaillant, des mésanges à longue queue jouent les acrobates dans le grand poirier. Au premier plan le pré illuminé est d’un vert prodigieux, en arrière-plan la montagne a pris ces teintes flamboyantes qui sont courantes en Haute-Savoie mais qu’on ne voit ici que lorsque l’automne se prolonge suffisamment pour que les flammèches des feuilles ne soient pas toutes soufflées. On regarde à gauche, on regarde à droite, on regarde la montagne orange, les crêtes blanches, le ciel qui se déchire, on ne sait plus où donner de la tête. Le spectacle est terriblement beau.

Puis soudain tout s’obscurcit. Un souffle froid s’engouffre dans l’entonnoir du chemin – ce même souffle qui a recouvert de neige l’Ukraine voisine où dix millions de personnes sont sans eau, sans électricité, sans chauffage. Le gris prend le dessus. Comme s’il s’était senti appelé par son nom, un héron gris au même instant remonte pesamment le torrent où se dissolvent les dernières paillettes dorées de novembre.

18/11/22

 

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