Vigie, novembre 2022

 

Attente en automne

 

 

« Attente en automne » n’est pas le livre de Charles Juliet que je préfère, mais c’est un titre que je lui jalouse (j’ai déjà parlé ici-même de mon goût immodéré pour les allitérations), un de ces titres qui, si j’étais éditeur, me feraient accepter un livre sans même l’avoir lu. Or, donc, depuis que j’ai envoyé à quelques éditeurs de Paris, Lyon et Genève le manuscrit de mon petit livre ferroviaire (sans trop y croire mais en me disant que cela préparerait le terrain pour celui de Madère), s’est enclenché malgré moi ce temps particulier de l’attente, qui a traversé l’automne et devrait se prolonger au moins jusqu’à la fin de l’hiver.

Si je n’ai plus fait depuis longtemps cette démarche de solliciter des éditeurs, c’est d’une part parce que je n’avais rien à proposer qui me satisfasse vraiment, et d’autre part parce qu’il est rude de recevoir ces inévitables lettres de refus que l’on s’applique à traiter avec détachement mais qui, chaque fois, vous claquent à la figure comme un élastique trop tendu. Il est dur d’être confronté au jugement d’un quidam qui, pris par ses propres attentes, pressé par le temps, ayant par ailleurs à remplir quelque grille dans laquelle on sait d’avance que son propre ouvrage a peu de chance de rentrer, n’est pas nécessairement dans la meilleure posture pour vous lire, mais dont les critiques forcément vous touchent (et, en ce qui me concerne, me poussent toujours in fine à me remettre au travail).

Je n’ouvre plus la boîte aux lettres, de peur de recevoir une enveloppe portant le sigle d’une des maisons qui m’intéressent. Une lettre, pourtant, la première, me parvient, que j’ouvre nonchalamment en sachant ce qu’elle annonce – car je suppose qu’une acceptation se solderait plutôt par un appel téléphonique ou un mail. Il s’agit, dieu merci, d’une maison sur laquelle je ne fondais que très peu d’espoir, mais que j’avais contactée en raison d’un certain lien avec le premier éditeur de Jean-Pierre Abraham.

La lectrice qui poliment m’éconduit a écrit à la main des lignes agréables : « J’ai particulièrement apprécié votre style. On est fasciné par vos descriptions de paysages, et on ne peut que se retrouver dans l’atmosphère des gares que vous décrivez. » On se doute que la suite sera moins positive. La voici : « Seulement, on ne porte pas grand intérêt aux morceaux de conversations rapportées, et sans intrigue les histoires finissent par nous sembler monotones. Je vous encourage néanmoins à tenter votre chance dans une autre maison d’édition… »

Il est normal que, travaillant pour une maison d’édition qui publie essentiellement des romans, ceux-ci constituent l’horizon d’attente des lecteurs qui y travaillent, et je ne m’en offusque pas. Il me faut néanmoins un peu de temps (une soirée, et ces lignes), pour digérer ce jugement au fond si subjectif, malgré sa feinte neutralité, et peut-être pas si juste ; car enfin, intrigue il y a – même si elle se tapit dans le fouillis des sensations comme une vipère dans les fougères ! Je craignais même d’avoir été trop explicite… Comment dire ? Voici le texte de présentation que je joins à l’ouvrage, le résumé en quelque sorte :

Tout commence par l’évocation d’un départ en train qu’un jeune garçon (autiste, probablement – mais on ne le dit pas) ressent comme particulièrement douloureux. Quelques années plus tard, l’enfant devenu adulte continue à vivre tout départ comme un arrachement, auquel il fait face en regardant ardemment tout ce qui l’entoure, et en prenant des notes. À travers les descriptions de paysages et les bribes de conversation, les rencontres rêvées ou réelles, les allusions aux drames intimes et aux crises en cours, les va-et-vient de la mémoire ou les réflexions sur la « littérature vagabonde », chaque trajet constitue une étape vers une certaine forme d’acceptation du mouvement – jusqu’à la résolution finale.

Voilà l’intrigue, la ligne directrice à laquelle chaque chapitre est rattaché. Lisant ces pages chez un des auteurs que j’aime, je sais par ailleurs que je ne pourrais pas les trouver monotones, puisqu’à chaque trajet tout est toujours neuf et que l’histoire (la seule qui vaille, celle des noces salvatrices entre l’écrivain et son écriture) avance.

Enfin, ce prévisible échec me permet de me dire que je pourrai envoyer plus tard à cet éditeur Le Livre de Madère, quand il sera écrit, car la tension narrative y est au premier plan, avec un vrai suspense (me dis-je) qui nait du naufrage initial, entre le paradis du premier chapitre et l’enfer du second…

Je dis, je me dis, je me redis et, en attendant l’orage du prochain refus, j’écris ici : « Attente en automne ».

10/11/22

 

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