Vigie, novembre 2022

 

On oscille…

 

 

Le temps se voile et se dévoile, et l’on oscille encore entre deux tonalités d’automne : les lumières et les couleurs chatoyantes d’octobre, le gris de novembre. Une odeur sucrée qui évoque le figuier monte de la masse des feuilles fermentées au pied des châtaigniers. Deux corneilles marchent en dodelinant de la tête dans le grand champ vert. La sensation qui domine est décidément celle d’un balancement doux, comme d’une barque sur un étang. C’est le mouvement de la marche et du temps, de la marche du temps quand on n’a plus la sensation de tomber mais seulement d’avancer.

Qui pourrait croire en voyant sur le chemin creux un tel toboggan de feuilles que celui-ci recèle des pièges aussi terribles que pierres qui roulent et bogues qui piquent  ? Rimski zigzague d’un bord à l’autre avec une prudence et une timidité qu’il abandonne sitôt passé l’obstacle. À La Martinette, lumière blanche, odeur de punaise et glouglou du bassin. Élodie s’apprête à quitter sa maison pour aller à la déchetterie, les deux chats d’Isabelle sont tapis dans l’herbe et regardent avec effarement le grand chien blanc qui ne les voit pas.

Plus loin l’odeur de la fermentation se fait piquante, citronnée, peut-être parce que se mêlent aux feuilles quelques fruits pourris qui ont roulé au sol depuis longtemps. Odeur des petites pommes et de la mousse, odeur à présent lointaine, très atténuée, des balsamines que l’on ne retrouvera plus que l’an prochain. Ici l’automne est encore fastueux, parce qu’on voit, de l’autre côté du Gelon, du pied à la cime, les grands arbres qui prennent toute la lumière et dont les feuilles d’un vert terne serti de rouille semblent dorées. Parfois Rimski se met sur le côté, regarde à gauche, regarde à droite, en une sorte de chorégraphie qu’on ne serait pas étonné de voir chez un cheval au dressage, mais qui venant ainsi spontanément d’un Samoyède étonne ; puis il reprend ce petit trot aléatoire par lequel il se distingue des lignes droites du loup.

Autour de la petite cabane toute neuve de la station de pompage, le gazon a levé et c’est vraiment une image de printemps (il paraît que certains arbres fruitiers refleurissent, comme a refleuri le romarin d’Élodie). Tout de même, les hirondelles sont bel et bien parties, le temps des girolles est fini et quand on regarde les remous dans la partie la plus sombre du ravin, on songe à l’hiver.

02/11/22

 

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