Le dernier jour
Le dernier jour en rien ne diffère de tous ceux qui l’ont précédé. C’est le même lever dans la même chambre, les mêmes occupations ordinaires, la même promenade avec le même chien, sous la pluie battante voilà tout. Nulle fulgurance de la parole ne vient bousculer les conversations habituelles. Ces valises pourraient être aussi bien pour partir en vacances. Les enfants ne se lèvent pas plus tôt pour profiter de ce dernier matin. Rien ne signale qu’on est arrivé au bout de l’échéance, si ce n’est la boule au ventre, et cette impression d’avoir de la fièvre, cette sensation de froid, mais c’est peut-être à cause de la pluie.
Il pleut continûment. J’ai pris, une fois n’est pas coutume, un grand parapluie en plus de mon chapeau, si bien qu’un crépitement continu m’accompagne. Le petit ru de La Martinette qui était à sec la semaine dernière gronde furieusement. Je m’inquiète de ce que ces odeurs divines du sous-bois détrempé ne s’associent désormais au souvenir du dernier jour, rendant à l’avenir ce moment qui précède la rentrée encore plus funèbre. L’eau du barrage déborde, la cascade est un petit Niagara. Les balsamines commencent à faner, les graines se préparent qui exploseront bientôt à mon passage.
Demain on emmènera Léo à Tours et l’on repartira sans lui. C’est son dernier jour dans la maison familiale. Il y a un avant, un après, et pas plus d’espace entre les deux qu’entre l’extérieur de l’eau où l’on respire et l’intérieur où l’on ne respire plus. Ce qui me terrifie, c’est la perspective de cette dernière image qui va s’ancrer dans la mémoire, du visage de Léo disparaissant derrière la porte refermée. Dernier visage, oui, dernier signe et puis rideau.
D’accord, on va dire que j’exagère et que je prends tout au tragique, mais ce n’est pas de ma faute si c’est tragique, cette sorte de répétition des adieux ultimes qui tôt ou tard vous déchirent, et ces étapes de la vie qui vous conduisent vers un trou noir.
Je regarde l’eau qui dévale du torrent, avec quelle violence.
28/08/23
