Vigie, août 2023

 

Indépassable

 

 

Août se poursuit dans un certain équilibre entre la vie au présent et l’écriture qui, même au présent, suppose d’innombrables allées et venues entre hier et maintenant.

Hier, justement, dans l’hier de la vie, je suis allé aider Élodie à l’un de ses marchés, en emmenant Rimski avec moi parce que je m’étais dit que sa présence lumineuse attirerait l’œil du chaland sur le stand. Je n’avais pas tort. La présence d’un samoyède pas du tout habitué à la foule a constitué une attraction de choix. Chaque passant qui lui parlait, chaque chien qui passait était l’occasion de jappements suraigus, le sommet ayant été atteint quand un autre Nordique est arrivé. Ils se sont reconnus, ont poussé des cris de loup, et je crois qu’aucune force n’aurait pu les empêcher de se rejoindre, de s’agripper et de se mettre à jouer comme les demi-loups qu’ils demeurent dans l’allée du marché redevenue à leurs yeux une steppe neigeuse où les fantômes humains n’étaient plus que des silhouettes d’arbres.

Pour le distraire je suis parti marcher un peu dans la ville, puis je suis revenu en traversant de nouveau le marché. L’un des stands était encadré par deux vaches en bois vers lesquelles Rimski s’est précipité. Il a mis son museau contre le mufle en bois, a commencé à faire des bonds sur place comme le font tous les chiens quand ils veulent jouer, failli bondir sur le dos de ces bêtes dont il n’avait manifestement pas compris la vraie nature, et cette scène cocasse a provoqué un attroupement car parmi tous les autres chiens qui nous avaient précédés aucun, je crois, n’avait agi ainsi. J’ai fini par repartir, Rimski a couru jusqu’à la voiture et sauté dans le coffre avant même que j’aie fini de l’ouvrir. Socialisation urbaine en cours d’acquisition.

Le retour de la chaleur m’a par ailleurs poussé à remettre en place le « bureau du dehors », sous la terrasse, comme je l’avais fait l’an passé. L’écriture semi romanesque, très nouvelle pour moi, de Ma mémoire indienne se poursuit, avec ses surprises, ses rapprochements inattendus, ses moments d’enquête dans les carnets, les lettres (celles de Josette – les miennes ont été perdues), les albums.

On atteint cependant la partie la plus fine de la crête, d’où l’on voit chaque versant sans quitter le sentier et où un bon vent souffle comme quand on passe un col, qui sèche la sueur sur mon front et fait bouffer le pelage d’été de Rimski (auquel l’hiver ajoutera quinze centimètres de poudreuse, même s’il ne neige pas). On constate que la gouille où Rimski habituellement se désaltère est presque vide. Tout est sec. Quelques tout petits champignons noirs aux formes extravagantes poussent sur une souche, mais on ne trouve que de très rares russules, pas une girolle, pas un cep ni une trompette, rien qui se mange ni même aucun autre champignon visible. Il faut vraiment ne pas mettre un pied en dehors des villes, en dehors de chez soi, et entretenir une solide cécité idéologique pour ne pas voir que le monde change avec une rapidité sidérante. Il paraît que dans les cercles covido-sceptiques se développent toutes sortes de boutades niant le réchauffement global parce que l’été en France a été jusqu’ici relativement frais ; on peut toujours moquer mon beau chien blanc qui veut jouer avec une vache en bois, en matière de crétinerie l’humain demeure indépassable. 

09/08/23

 

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