Vigie, août 2023

 

Kenneth White est mort

 

 

« Labour » suddenly seems exactly right
hard slogging, no facility
like learning the basis of a grammar
working your way into unknown logic…

Je connais encore par cœur ce poème et pas mal d’autres de Kenneth White, dans « Terre de diamant » et « Atlantica » surtout, en anglais, en français, et c’est sa voix d’ailleurs que j’entends lorsque je me les récite :

“Effort” semble soudain le mot qu’il faut
dur labeur, travail sans trêve
comme acquérir les bases d’une grammaire
chercher son chemin dans une logique inconnue…

Ces mots s’appliquent à merveille au moment en cours – il suffit de nous regarder au travail, Rimski et moi, explorant chacun à sa façon le monde du rêve et celui de la mémoire…

Mais trêve de plaisanterie. « Comment va l’écriture ce matin ? » Elle va bien. Le nouveau livre avance vite et bien, considérablement chamboulé par la mort de White. Parfois tout semble faire signe. Qu’on en juge.

J’ai écrit l’an passé le témoignage assez long que je ruminais depuis des lustres sur mon rapport à Kenneth White, à l’homme et à l’œuvre. Au même moment j’ai écrit à propos de la Bretagne et envoyé un message également à mon amie Laurence, Laurence Sibille, l’artiste-peintre bretonne avec qui j’avais fait en 1996 mon premier livre, D’un hiver à un autre, et que j’avais bêtement perdue de vue. Laurence m’a répondu il y a peu, le mois dernier je crois, au moment où je m’apprêtais à écrire cette histoire qui me renvoie à mes vingt ans. C’est elle qui, intervenant en tant qu’artiste-peintre en art-thérapie auprès de Marie-Claude, m’a appris la mort de Kenneth avant qu’elle ne soit rendue publique : en toute logique, ayant coupé les ponts, je n’aurais pas dû le savoir si vite, de façon en un sens si intime.

Qu’est-ce que ça a changé ? Tout.

J’étais en train d’écrire ce livre où je pensais flouter l’influence exercée par Kenneth White sur le jeune homme de vingt ans que j’étais ; je me suis retrouvé soudain tel qu’avant, tous les souvenirs sont remontés pour de bon à mesure que j’attendais les nouvelles, la confirmation, les circonstances, de sa mort, qui a agi comme un révélateur.

L’écriture a été déviée de son cours artificiel pour en prendre un plus naturel, plus conforme à la vérité. L’écriture rassemble. La disparition de Kenneth White de la même façon a réuni tout un ensemble d’éléments dispersés. Je sais bien que c’est là pur hasard, mais rien de tout cela ne se serait produit si l’été dernier j’avais choisi d’écrire Dans ma mémoire indienne plutôt qu’Entre deux gares (les deux étaient sur les rails…), si Kenneth White – avec qui je continuais régulièrement à bavarder en rêve, indifférent à notre brouille – était mort l’an passé ou l’année prochaine, si Laurence ne m’avait pas écrit, etc.

Sur ce, je retourne au travail : « Labour » suddenly seems exactly right… 

12/08/23

 

Ce contenu a été publié dans 2023. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.