Vigie, mai 2013

 

PAUPIÈRES LOURDES

 

Toute une longue nuit de pluie. Tout trempé. Les dômes de la montagne à nouveau saupoudrés de blanc, et les nuages qui s’accrochent. Saison qui s’accroche, qui accroche, qui ne permet pas le laisser-aller mais incite à la vigilance, à la gravité, à l’inquiétude, à une sorte de repli habituellement associé à l’hiver. L’exubérance des feuillages, les verts rutilants, tout cela se fait quand même, mais gravement.

Reviennent des images d’enfance et d’adolescence, ces heures passées à la fenêtre, le menton reposant sur la poignée de fer, à regarder passer les nuages le long du Nivolet, et tomber la pluie. C’est donc le printemps 1987 dont on dit qu’il fut aussi froid que ce printemps présent, ce printemps de 2013. J’ai toujours en moi, près de moi, cet enfant accoudé à la fenêtre.

Fenêtres mouvantes, monde mouvant. Plus besoin de voyage pour sentir que rien n’est fixe. Petite bulle d’air et d’eau je glisse, je tombe le long d’un parcours connu d’avance et pourtant imprévisible. Je soigne les virages, les changements d’humeur et de cap. Je me propage par cent regards jetés à main gauche, à main droite, côté forêt, côté ravin. Sensation de bergeronnettes au bord du ruisseau, d’escargots escaladant une fougère, sensation de fougère, de pluie, de nuages.

Puis le fil se perd, l’eau s’évapore en nuages qui se dispersent à leur tour, le brouillard même se brouille et c’est comme le crépuscule précoce d’une très grosse averse qui ferme le paysage, ou comme la paupière lourde d’un homme qui pleure ou se rendort.

29 mai 2013

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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