Vigie, mai 2013

  

AU CORBEAU CASSÉ

 

 

Salut à toi, vieux corbeau au trait sûr, et salut l’écriture !

Sitôt tracés ces traits quelque chose se redresse comme la sentinelle à l’arrivée de la relève.

Tout est calme et grave dans cette pièce aux neufs autels dont le centre mouvant reste le carnet ouvert.

Écrire, enfin délivré de l’attente d’écrire.

Le sablier, l’encens, l’horloge et les pages tournées mesurent le temps ; ici, on l’apprivoise en dansant avec lui en arabesques noires.

Un jour je n’écrirai plus qu’à l’encre sympathique, quand l’idée même d’être lu ou de garder trace aura perdu toute signification, quand il n’y aura plus personne pour relire.

(Cette idée curieusement rassérène.)

Puis l’entonnoir me ramène au trou de la certitude désormais de cette maladie qui creuse, et je me tends, je pleure en sachant pourquoi.

Vieux corbeau, ta plume se casse, ta plume est cassée. On maudirait bien pour un peu tes traces et cette insouciance qui me faisait danser avec un bourreau en costume noir et or.

Jeter la plume, arrêter là, arrêter tout, ou tout au moins écrire qu’on jette là l’éponge et qu’on cesse la danse, c’est façon de poursuivre quand même et, tant qu’il restera un souffle, de tenir le tempo.

Salut vieux corbeau au trait dur, dont la danse « tord les membres de l’espace et du temps ».

1er mai 2013

 

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