Route, février 2013

 

 

 

QUELQUES IMAGES NOMADES

 

La neige sur le flanc sombre de la montagne dessine maintenant une sorte de ciel étoilé comme en août. Des abeilles sortent de leurs ruches où sans doute, elles n’ont plus rien à manger, et se risquent à travers les champs alors que les saules marsault, qui leur procurent la première nourriture du printemps, ne sont pas encore prêts ; elles s’engourdissent peu et à peu et meurent dans le beau linceul étincelant des derniers névés.

On reprend ainsi le petit succédané de nomadisme quotidien. On roule à travers un monde nomade, étonné de la lumière, étonné de l’hiver. On répète en soi-même : comment tout ça peut-il être si bien réglé ? On a eu hier devant la glace le même étonnement, mais moins joyeux, devant ce visage qu’on n’a pas reconnu et en lequel on a vu un autre visage apparaître soudain.

Lu hier soir ce livre de Bergounioux dans lequel les affaires entreposées devant la porte lors d’un déménagement donnent à l’écrivain ces envies de fuite toujours présentes en arrière-plan. L’homme n’était peut-être pas fait pour la sédentarisation, bien vite accompagnée par les premières guerres. Il lui faut maintenant parvenir à retrouver une sorte d’équilibre qui passe par la nécessité de prendre pleinement conscience du caractère mouvant de toute chose. L’attention aux saisons, aux fluctuations du temps, est un bon antidote.

On descend dans cette combe aux arbres nus qui laissent apparaître le crâne blanc de la montagne. Cette image se superpose à cette autre, entrevue juste avant : une vieille femme en pantoufles qui rentre chez elle à tout petits pas, les cheveux teints laissant apparaître le blanc du crâne.

On a maintenant avec soi constamment cette image.

Face à cela un vol coloré, absolument inattendu, de bouvreuils pivoine venus s’abattre sur un bouleau nu ne provoque pas l’émerveillement habituel. Juste quelques taches colorées à peine entrevues dans ce paysage de neige. On est déjà plus loin, on est déjà ailleurs, le long de ce ravin, dans cette faille où il fait toujours plus froid qu’ailleurs.

On observe en filant le ballet des geais sur le mur gris du petit cimetière, les fumées des cheminées, le vert olivier des volets fraîchement repeints, la route blanchie par le sel et qui semble ici d’une étrange couleur de paille, comme un champ après la fonte des neiges (déjà on songe aux perce-neige et aux crocus). Une corneille se pose sur la neige en faisant mouliner en arrière ses ailes d’un beau noir rutilant : on voit très bien les longues rémiges écartées se découper sur ce fond de neige.

Belle moisson d’images, finalement, ce matin.

Peu de liens dans tout ça.

Aucun sens qui se dégage.

Juste une succession de clichés en lesquels on puisera peut-être plus tard, mais qui pour l’heure se suffisent à elles-mêmes, et me suffisent.

 

15 février 2013

Ce contenu a été publié dans 2013. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.