LA PLUIE EN TÊTE
Ciel limpide déjà clair. Trois quarts de lune brillante dans le ciel pâle. La longue ligne de la Chartreuse une fois de plus nimbée de ce rose très pâle. Promesse d’escapade en montagne, promesse de sortie. Sortie d’hiver. Sortir de l’hiver. Repartir sur les chemins de crête.
À force de guetter chevreuils et cerfs on finira par sortir pour de bon de la route, ce qui pourrait d’ailleurs offrir un chapitre intéressant à cette série de textes imprudemment intitulée « sorties de routes ».
Il a plu presque toute la nuit. Une pluie violente, vive, une pluie qui évoquait déjà les pluies du printemps. « Haru same ya », ondées printanières. On savourait ce son de la pluie sur le toit refait à neuf, satisfait d’être enfin à l’abri. Le vieux toit laissait passer l’eau et la maison s’était déjà trouvée inondée d’une manière assez brutale, mon fils découvrant avec stupeur sa chambre sous l’eau…
Dès que j’ai entendu les premières gouttes à l’intérieur j’ai aussitôt compris, bondi pour aller chercher les cuvettes. Par quel chemin l’eau a-t-elle réussi à passer, malgré le travail irréprochable du couvreur ? On se croyait à l’abri. Comme toujours, on avait tort. La pluie, je ne l’ai plus entendue de la même manière. Repensé à la chanson de Charles Trenet « Il pleut dans ma chambre », dans laquelle le poète, habitant d’un château en ruines, se satisfait de la mélodie et du rythme de la pluie. « Il pleut dans ma chambre, j’écoute la pluie… » Manière bien sûr de dire encore et malgré tout la possibilité de la joie même en temps de crise — en l’occurrence, à l’époque de la chanson, la deuxième guerre mondiale. Mais ces gouttes sur le plancher de mon bureau, ce n’était tout de même, pas grand-chose.
Depuis qu’il fait jour, je ne vois plus ces tableaux admirables des fenêtres éclairées quand je traverse les villages. Je le regrette.
Sortir de la route toute tracée des habitudes en laissant le regard papillonner entre les montagnes.
Silhouette de la corneille perchée sur le fil électrique.
Lente progression des nuages au-dessus de la route.
5 février 2013