Route, avril 2013

 

 

 

LE VENT N’A PAS CHASSÉ LES NUAGES

 

Le vent n’a pas chassé les nuages. Beaucoup de nuages dans la tête encore. Un merle traverse le ciel gris avec dans le bec un bouquet de brindilles. De la montagne monte comme une sorte de grondement. Quelque chose gronde en continu qu’on entend de façon discontinue. L’océan intérieur. L’esprit. On sent très bien par moments, par instants, par fragments à quel point on est sur une île, un tout petit fragment d’espace enchâssé dans le magma de la mémoire. Quiconque a perçu cela se trouve condamné à la distance. Même habitant une maison il demeure au dehors, et s’il rentre chez lui et regarde par la fenêtre à l’intérieur, il voit la pluie qui tombe dans le salon ou la cuisine. Il voit un enfant qui joue, et cet enfant est aussi bien son père, son fils, lui-même quand il était enfant. Parfois il n’est plus guère, comme un soldat blessé, qu’un enfant « qui voudrait rentrer dans la maison de sa mère ». Danser au bord d’un gouffre, qui le pourrait ? Ce grondement qui l’ébranle, ce n’est pas le tambour de la fête. Il n’est pas une montagne, même s’il peut y avoir en lui quelque chose de la pierre, un petit amas de glaise que l’usure disloquera.

Le printemps ne procure pas le calme, l’assurance mis à mal par l’hiver. En ce bouquet de coucous qui ornent à présent la butte on revoit aussitôt les fleurs qu’on admirait, qu’on cueillait parfois étant enfant, quand on s’aventurait du côté de la mare et de cette maison en ruines, curieusement abandonnée, à laquelle on repense souvent et depuis tant d’années. C’est peut-être un signe de l’âge (on n’est pourtant pas si vieux) ou bien l’ombre de la maladie, mais on constate à quel point le présent est maintenant troué par ces éclairs du passé, à quel point l’eau calme du puits est percé par ces bulles remontant du passé.

Parcourant une fois de plus cette route je ne sais plus où je suis. Je longe seulement le petit cimetière de la Chapelle du Bard, et je me crois déjà arrivé. Je me situe ainsi tantôt plus loin tantôt moins loin sur cette route trop connue. 

Ainsi souvent du rapport au présent, ainsi de la présence.  

 

8 avril 2013

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