Vigie, février 2015

 

 

À LA LUNE

 

 

 

Jour de givre, nuit de gel. Entre les stalactites qui pendent de la gouttière on aperçoit la toute petite lanterne de la pleine lune. Réveillé par un rêve je suis descendu boire, et j’ai vu cela. 

Dans le rêve j’étais revenu en Guyane pour enseigner. J’apprenais que je ne pourrais pas garder mon poste et qu’il me faudrait aller en ville, dans un très grand collège. J’en étais navré. Je pleurais, la tête posée entre les mains, le front sur un pupitre, toutes les partitions jetées à terre : il me faudrait quitter la douceur du connu pour une situation a priori nettement plus incertaine, où sans doute j’aurai à faire face à l’hostilité, à l’incompréhension (et où en tout cas je n’aurai plus aucune chance de voir des cerfs et des beccroisés en partant travailler). J’évoquais alors, mais comme un souvenir très lointain et avec une nostalgie indicible, le collège d’Allevard. Je suppliais : est-ce que ce ne serait pas possible de retourner là-bas, et je disais cela comme on parle d’un retour au paradis… Le réveil me procure une si grande joie que je ne peux plus dormir. Ainsi donc j’ai conservé ma place au paradis ! Ce n’était qu’un cauchemar. 

Je regarde, à la fenêtre, mon paradis glacé. Je sais que les bêtes rôdent autour du hameau – chevreuils, cerfs, chamois, lynx, et plus haut les loups dont on entend parfois le chant. Si j’étais loup, je renverserais la tête en arrière en direction de la pleine lune, et pousserais un immense et triomphal hurlement.

 

3 février 2015

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