Vigie, février 2012

 

 

 TRAVAIL

 

Après-midi de travail dans le bureau des combles. Au dehors tout est blanc et il fait glacial (moins quinze degrés). Impression d’être tombé au fond d’un congélateur. La neige obstrue totalement le luxe. Des bandes d’oiseaux affamés s’abattent sur la mangeoire, que j’observe depuis la fenêtre du bureau.

Clément dort et j’écris.

Je taille mon layon à travers le passé, le présent, les images de la Guyane mêlées à celles d’aujourd’hui.

J’avance, tout patiemment, sans plan, sans carte, avec seulement en tête une direction qui permet tous les écarts. 

Le carillon tremble, tout est tellement glacé. Bientôt j’arrêterai le travail et je marcherai jusqu’à l’arrêt de bus pour accueillir Léo.

 

*

 

Il a encore neigé, il neige encore à petits flocons serrés. Neige à perte de vue. Moins dix degrés au thermomètre de la terrasse. La chaise en plastique blanc est recouverte d’un épais coussin de neige, et les balustrades en bois sombre toutes rehaussées de blanc. On rallume tant bien que mal le feu. Je raccompagne Léo à son bus, la chienne Patawa se roule dans la poudreuse et la neige continue à recouvrir la neige. Je retourne à ma table.

 

*

 

Toujours la neige, le froid vif qui fouette au sortir du bureau dont je m’extirpe comme on change de peau ou d’époque.

Je n’écrivais plus parce que je ne pouvais pas, et aussi sans doute, entre autres, parce que j’avais peur de me laisser happer. Ce n’était pas sans raison. Je suis en train de revivre pas à pas ces sept années de Guyane, et je sais les épreuves qu’il me reste à retraverser. Cela n’inspire pas confiance. 

Maintenant j’attends Léo au bus : signe de main, la joie des retrouvailles, comme un réveil au sortir d’un cauchemar. Puis tout se crispe parce que le bambin a encore oublié son bonnet et ses moufles sans lesquels la sortie prévue ce week-end ne pourra pas se faire, parce qu’il a mis ses bottes à l’envers et se moque de mon mécontentement, ou parce que je peine à revenir de la Guyane mentale dans laquelle je m’égare à nouveau.

Je me replie.

La chienne qui aboie, ce texte qui n’avance plus, tout finit par produire une sorte d’irritation, comme un tissu léger posé sur une brûlure.

Je continue quand même : s’arrêter maintenant n’est pas possible, serait pire que tout.

 

2, 3 et 4 février 2012 

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