Vigie, mai 2009

 

 

 

LE SAMSARA

 

 

Grand soleil. Le bonheur d’être de retour ici, seul avec l’enfant au bord de ce ruisseau (pendant que mes parents et Nathalie poursuivent la visite des lieux).

Pas besoin de discourir sur le Dharma ni même de « méditer » pour être là. Pataugeant dans l’eau froide, l’enfant jette les cailloux devant lui avec une concentration et un plaisir extrêmes. Ciel très bleu, verts lavés par la longue averse d’hier, renouveau. On cherche en vain des signes d’inquiétude (c’est dire si on s’illusionne, d’ailleurs, si l’on se croit déjà sauvé!) : une branche cassée, là-haut ; le frisson passager de l’ombre ; vraiment presque rien.

Un homme passe, attentif à sa marche, qui salue discrètement.

L’enfant éclabousse un peu le carnet, auquel il ajoute des signes bienvenus.

Un paradoxe, me semble-t-il. Si le but ultime est de quitter le « samsara », le rendre aussi habitable, aussi plaisant, aussi lumineux, en atténuer la violence et la souffrance ne risque-t-il pas au contraire de favoriser l’attachement qui nous lie à lui ? – Sans doute je me méprends sur le sens de la pratique, qui n’atténue rien mais va plutôt dans le sens d’une intensification, d’un dégagement, d’un déconditionnement qui n’est pas confortable.

On vit quoi qu’il en soit un moment d’harmonie (malgré les branches que l’enfant transporte à présent et avec lesquelles il me fouette au passage), dont on accepte même le caractère fugace. On ne cherche pas à prolonger, on ne cherche presque rien. On est là posé comme une pierre. L’eau file. Un avion file. L’enfant jette des bâtons. La plume accompagne le mouvement − quand elle cessera de parcourir la page, le mouvement continuera sans les mots (dispensables, les mots). Sur la pierre luisante une sorte de sangsue luit. La lumière descend. Un papillon. Rumeur double du ruisseau, très fraîche au premier plan, plus menaçante en arrière-plan (tu vois que les menaces…).

C’est tout.

 

Karma-Ling, 15 mai 2009.

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