Les chemins du Sauvage (Ardèche, mai 2015)

BOURRASQUES SUR LA ROUTE ARRÊTÉE

 

On attend. Par milliers on attend sur la route engorgée où seul le vent circule vraiment qui ballotte les hautes herbes et les genêts en fleurs. Ciel blanc, soleil blanc, ombres dures des arbres maigres, des pylônes et des voitures sur le bitume granuleux de la Route Nationale, dont on regarde les infimes reliefs avec la lenteur et la précision hallucinées des escargots que nous sommes devenus…

Cela ressemble à un jeu d’enfants peu pressés, c’est absurde, sinistre ou cocasse comme certaines scènes du Trafic de Tati : on glisse, on se dépasse, on se perd, on se retrouve, on se jauge, on se compare, on s’accroche au moindre détail pittoresque qui pourrait atténuer l’impatience de sortir du traquenard – l’attitude de cet homme au volant, assez semblable à celle du « Penseur » de Rodin, le gros camion El Zinc dépassé déjà dix fois et qui vient de nous dépasser, le panneau démesuré qui annonce la sortie Trente-trois (et pourquoi l’écrire en aussi gros caractères ?)… On s’oublie dans la musique de Piazzolla, on s’exaspère dans la cohue des pensées parasite, on se regarde de haut depuis cet hélicoptère qui file dans le ciel blanc, et l’on se gausse (quelle idée de partir aujourd’hui, vers le Sud ?) ; et puis le vent souffle sur tout cela et plie les hautes herbes et les genêts en fleurs en de vaines mais salutaires bourrasques, et l’on repart très lentement…

RN7, 13 mai 2015

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