LES MIGRANTS
La route brille sous la pluie battante. Des rectangles gris clair s’allument sur fond plus sombre, à cause d’un rayon de soleil ou de la lueur des phares. Les essuie-glaces oscillent entre les grands nuages accrochés au flanc de Belledonne et le brouillard en fond de combe. Il pleut vraiment à verse, et c’est un bienfait pour la terre…
À la radio, cependant, on parle des migrants : « Les migrants par milliers déferlent sur la Serbie », et on a l’impression qu’il s’agit d’un vol de sauterelles (« réfugiés » ou « demandeur d’asile » semble préférable).
La honte me vient de ces lignes consacrées à la pluie, à la route.
Dire, aussi fort qu’on peut, que l’attitude des pays européens est une honte, c’est peut-être au moins une façon de ne pas céder au fatalisme ?
Je sais que c’est facile à dire, facile de dire…
Je roule paisiblement sur ma route au fond si rectiligne, si peu dangereuse (malgré les chauffards et l’accident toujours possible), pendant que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants tentent de survivre en fuyant la guerre. Il y a là quelque chose d’inconcevable qui donne envie d’arrêter tout discours, de se garer n’importe où, de mettre la tête entre les mains, de se taire, ou de crier.
Puissent les barrières tomber, puissent nos sociétés en crise morale bien plus qu’économique, s’organiser pour accueillir dignement ces gens ; sinon, à quoi bon nos discours, nos tableaux, nos musiques et nos livres ? À quoi bon cette route ?
24 août 2015