Vigie, octobre 2009

 

 

 

LA VIOLENCE

 

 

Dans le parking du supermarché la mère crie après son petit garçon, quatre ou cinq ans à peine. Elle crie, elle ne peut plus s’arrêter, en proie à une colère continue qui l’aveugle totalement. Son petit garçon pleure. Il veut absolument porter lui-même un filet plein de petites boules de graisse pour oiseaux, contre l’avis de sa mère. Le filet s’ouvre, les boules roulent sur le bitume. La mère crie encore plus fort, avec une sorte de satisfaction sinistre : « Tu vois, je te l’avais bien dit, t’as qu’à te débrouiller maintenant ! » − et, sans plus se retourner, elle poursuit son chemin en laissant là l’enfant. Celui-ci implore : « Attends-moi, maman ! » Il essaie de ramasser les boules de graisse, n’y arrive pas, pleure, les ramasse quand même en cherchant sous les voitures, et court pour rejoindre sa mère.

Comment peut-on à ce point se murer, oublier son bon cœur et faire souffrir son enfant ?

Dans les années qui ont suivi j’ai très souvent raconté cette histoire. Je me rends compte que je l’ai peu à peu déformée, transformant les petites boules de graisse pour oiseaux en oranges (peut-être parce que je trouvais belle l’image des oranges roulant sur la chaussée, ou bien par rapprochement inconscient avec cette scène du Temple du soleil dans laquelle des brutes violentent un jeune vendeur d’oranges, avant que Tintin n’intervienne – et sans doute aurais-je bien voulu, comme Tintin, intervenir alors auprès de cette mère si peu aimante…). Le caractère inutile, dérisoire, enfantin de ces petites boules de graisse, qui disent aussi quelque chose de la tendresse de l’enfant, rend l’histoire encore plus poignante. Il est bon de prendre note, cela permet en quelque sorte un retour au texte d’origine !

12 octobre 2009

 

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