Route, mars 2016

 

 

 

DES RÊVES DE GLACE

 

Routemars2016prose

 

 

Parfois, pas moyen. Ni parole, ni envol qui tienne. Pas moyen de s’arracher à la prose des rêves de glace, rêves endeuillés et froids qui obstruent le parebrise plus sûrement que la glace.

 

*

 

Toutes ces maisons inconnues des rêves, pas moins familières que celles des bords de route où l’on n’entre jamais.

Celle de cette nuit était vaste, avec de longs couloirs. Ma mère s’y trouvait (je ne m’y attendais pas), et nous parlions ameublement. Ce buffet sombre serait parfait pour la cuisine, disait-elle, et j’acquiesçais aussitôt, ajoutant qu’il faudrait aussi un grand fauteuil à l’angle de cette pièce du premier étage qui donnait sur la mer et où elle serait si bien pour lire.

Je disais cela en réprimant les larmes car je savais qu’elle était condamnée, condamnée, me murmurait mon père, d’une façon particulièrement atroce « car tu sais, elle va pourrir de l’intérieur ».

 

*

 

Il neige à petits flocons serrés.

Les stalactites de glace se sont reformées le long des gouttières.

Le couple de canards tourne en rond dans la partie de la gouille restée libre.

À Répidon les ouvriers travaillent aux lignes électriques endommagées par la neige.

Les saules têtards font à nouveau comme une flambée d’automne.

 

*

 

Puis je retrouvais Madère. Je marchais dans les rues pavées d’une ville qui était censée être Funchal et ressemblait à Barcelone. Les rues étaient décorées de fanions colorés, mais je pleurais. Je disais : je suis heureux d’être revenu à Madère mais cela me fait mal parce qu’elle n’est plus là et que j’ai l’impression qu’elle va revenir, que je vais la croiser au hasard de la foule, qu’il ne peut en être autrement parce qu’en quarante ans je ne suis jamais resté aussi longtemps sans la voir et que cette absence est inconcevable.

Je cherchais la jetée où jouait le musicien brésilien, je voulais au moins trouver le port et regarder la mer dont je sentais partout l’odeur, mais je me perdais dans les rues de la ville.

 

*

 

Le cou rentré dans son écharpe blanche, la buse, cependant, veille.

 

 

8 mars 2016

 

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