Route, avril 2016

 

 

 

LA VOITURE DU DR CALIGARI

 

Routeavril2016caligari

 

J’ai conduit cette nuit la voiture du docteur Caligari, toute de guingois, étroite, déformée. J’avais les genoux dans le menton et ne pouvais percevoir la route que par le biais d’une sorte de miroir déformant qui me la montrait à l’envers et floue. Je me disais que ce serait une expérience intéressante que de conduire ainsi, que j’aurais sans doute un accident mais que ce serait prétexte à un texte expressionniste à souhait.

Ce genre de rêve tend à montrer que l’obsession de tirer parti littéraire de mes trajets quotidiens est en train d’en supplanter l’expérience directe, et qu’il est sans doute temps de passer à autre chose.

 

*

 

Supplanter ? Peut-être pas. Reste encore et toujours cette joie simple de dire l’hirondelle et la lumière d’avril qui frôlent le parebrise, l’étonnement de voir la route dans le ciel et le ciel dans la route, l’étonnement de voir et de dire…

S’obliger à regarder et à dire la route, c’est être son obligé − et cela ne pèse pas plus que cette ombre de la voiture sur la chaussée, que je vois pour la première fois depuis bien longtemps à cette heure si matinale parce que le soleil franchit chaque jour un peu plus tôt la ligne de crêtes.

Écrire n’occulte pas mais redouble sensations et émotions, double même la tristesse et la joie d’une ombre qui n’est ni triste ni joyeuse mais qui, de la joie, de la tristesse, des cahots de la route reprend le mouvement en le simplifiant, en le détachant du fouillis du réel, en l’épurant parfois jusqu’à l’abstraction, lui conférant ainsi une portée plus générale – car dans le flou de ces lignes qui ne laissent plus vraiment lire le lieu et le moment qui les ont suscitées, chacun peut projeter sa propre histoire, sa propre route.

Écrire, lire aussi je l’espère ces pages ou d’autres plus consistantes, c’est tenter de construire, comme les maçons devant l’ancien hôtel d’Arvillard, un mur qui ne sépare pas mais qui est de pur ornement, un vieux mur refait à neuf qui, comme celui de Bertin, va « d’hier à demain » et nous dit « où est le chemin ». C’est regarder la réalité dans le miroir déformant du rêve, et en faire son rêve, sa réalité, ou sa fumée à soi.

La suite en mai.

 

28 avril 2016

  

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés. 

 

 

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